Quand la démesure rythme nos vies
Le roi lion et les souris
Le roi Hubris a le rugissement le plus puissant et le plus terrifiant de tous les animaux. Tout le monde sait qu’il descend du grand mongol, lui-même d’origine divine. Ses réflexions à l’heure si propice de la sieste, quand il laisse ses lionnes chasser, sont si justes et si brillantes, et son courroux si meurtrier, que tous attendent anxieusement sa parole.
Seules Lysa et Marc, un couple de souris, échappe à la peur qui saisit chacun à la cour. Elles sont si furtives qu’elles se faufilent partout, et viennent même murmurer à l’oreille des fauves, pendant leur sommeil, en toute impunité. D’aucuns prétendent qu’une part de l’intelligence des puissants leur vient de ces voix qui les inspirent à leur insu.
Le couple de souris se retrouve tous les soirs à l’heure du coucher du soleil, après le jour passé à fureter à la recherche de quelques graines, attendant leur tour de boire, au point d’eau, à mi-chemin de la rivière à sec.
Marc : « J’ai encore entendu Hubris aujourd’hui raconter des sornettes, j’étais juste dans l’arbre au-dessus de sa tête, quand ce monstre pétri de certitudes a proposé d’étendre le territoire des lions au prétexte qu’ils sont plus intelligents et donc plus méritants que les autres animaux, et que tous les animaux lui doivent désormais allégeance : lui seul peut les protéger de Sapiens. »
Lysa : « Tout roi qu’il est, il faut bien qu’il boive ! Quand va-t-il s’arrêter ? »
Marc : « Jamais, Hubris continuera jusqu’à son lit de mort. Il lui en faut toujours plus. Il rêve tellement de grandeur, de gloire, qu’il réécrit l’histoire à la mémoire des lions, qu’il exige d’occuper un monde plus vaste, et sans cesse trop petit, qu’il s’inquiète de ce qui lui échappe, et croit dur comme fer qu’il y a le monde des lions et le monde des autres animaux, indigne d’être vécu et à assimiler. »
Lysa : « Il va s’amuser avec Sapiens ! En voilà un autre qui se complait dans la démesure. Tu vois Sapiens révérer le roi lion ? crois-tu qu’ils aillent se faire la guerre ? »
Marc : « C’est vrai que quand je vois à quel point Sapiens est convaincu qu’il connait le monde et qu’il a raison à priori en toute circonstance, je me dis qu’il pourrait aussi s’appeler Hubris. »
Lysa : « Marc, j’ai peur que même nous, les souris, soyons exposées à la démesure !»
Marc : « Tu exagères, nous sommes si petits ! si furtifs ! qui peut nous trouver menaçants ? Et puis s’il leur venait l’idée de s’en prendre à nous, il suffirait que nous leur glissions à l’oreille pendant leur sommeil ce que nous voulons qu’ils fassent. En fait Lysa, l’air de rien, nous sommes les maîtres du monde. »
Lysa tristement : « C’est bien ce que je disais. »
Tant nous nous captivons pour la déraison de l’autre, que nous nous rendons aveugles à la nôtre.
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Olivier Vidal