Décrypter l’intelligence vivante de l’émotion

« Le sacrifice interdit » de Marie Balmary

par Véronique Boillot

« LE SACRIFICE INTERDIT »

MARIE BALMARY

SE DIFFERENCIER POUR DEVENIR SOI En quête de lʼAltérité

Fiche de Lecture de Véronique Boillot  Promo 7 avril 2015


Marie Balmary (MB) est psychanalyste. Son œuvre est construite sur une relecture des récits fondateurs de la parole, la Bible et les Évangiles, tous deux reliés à lʼexpérience de la vie, celle de lʼinconscient pour la psychanalyse, celle de la révélation pour la tradition biblique. La Bible est lue dans sa langue originelle (MB a appris pour cela lʼhébreu pendant 10 ans). « Le Sacrifice interdit » (1986) est le 1er dʼune longue série consacrée à ce sujet (Cf Bibliographie in fine).
Ce livre est très dense, avec de nombreux apartés et retours en arrière, comme dans une enquête. Jʼai choisi les passages consacrés à lʼAltérité, « le caractère de ce qui est autre », à la relation à lʼAutre, en lien avec la position du praticien LE.


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Le fondateur de la psychanalyse a rompu avec la foi et le judaïsme pour développer une théorie scientifique, qui exclut toute référence à la religion. Il a tenté de percer le mystère des origines de la vie spirituelle de lʼhomme avec le complexe dʼŒdipe (lʼenfant séducteur, prêt à tuer son père pour posséder une mère convoitée).
Or, nous dit MB, Freud a « omis » de parler dʼun crime originel : un acte de séduction et de rapt homosexuels commis par Laïos, le père dʼOedipe, à lʼégard du fils de son hôte, entraînant le suicide du jeune homme. Ce crime fut puni dʼune malédiction, lui interdisant dʼavoir un fils, sinon celui-ci le tuerait. Lʼorigine des malheurs dʼŒdipe ne serait pas dans les désirs parricides et incestueux du fils, mais dans le crime du père. Pourquoi Feud nʼen avait-il pas tenu compte ? MB ne pouvait « plus voir en Œdipe, ni voir en lʼhumain, le seul responsable de son destin ou de sa névrose ». Elle décide de relire la Bible avec un regard neuf.


Freud contre le totalitaire


Église, famille, parti : Freud parle de « foules conventionnelles », dʼhommes rassemblés par lʼaliénation, réunis par fusion. Mais, sʼinterroge MB, quand le Christ demande-t-il aux humains de renoncer à leurs différences, leur identité, leur conscience ? Dans la tour de Babel, cʼest tout le contraire : on y parle du lien qui unit les hommes en société et de la langue. Chacun unique, jamais deux fois le même.
Ainsi, dans le texte biblique, « YHWH descend pour voir la ville et la tour » et sʼaperçoit que les hommes sont en danger car la parole est devenue « une masse amorphe de particules privées de signification », quʼils ont perdu la négation car elle risque de disperser, dʼopposer. Pour MB, ce texte dénonce le mensonge dʼune harmonie sans différences. Celui qui la rompt est celui qui sauve de la mort.


Jésus, porteur du couteau


Le divin apparaît en « ennemi du oui sans non », en « ennemi dʼune harmonie qui ne serait quʼunisson » Dans lʼEvangile de Luc ainsi que dans lʼEvangile de Matthieu :


« Ne pensez pas que je vienne jeter la paix sur terre. Je ne viens pas jeter la paix, mais lʼépée. Oui, je viens dresser lʼhomme contre son père, la fille contre sa mère, la bru contre sa belle-mère, ennemis de lʼhomme, les gens de sa maison ».
Plutôt que de « dresser contre », il sʼagit de « faire deux », de séparer une personne dʼune autre. « Je tʼaime parce que tu es (à) moi » ne diffère de « je tʼaime parce que tu es toi » que par lʼépaisseur dʼune lame de couteau. Celui qui aime selon le 3, qui admet le tiers séparant, le passage du couteau, seul celui-là se situe en véritable être parlant, ne revendiquant pas lʼêtre de lʼautre comme le sien, il ne parle plus quʼen son nom propre.
A relier en LE aux Etapes 1 & 2 (Endosser sa douleur + Mesurer lʼusage de son JE) et aux Niveaux dʼattachement.


Le sacrifice dʼAbraham


« Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va pour toi en terre de Moryah, là, monte-le en montée sur lʼun des monts que je te dirai ».
Une des lectures conduit à penser que Dieu veut que lʼhomme soit obéissant jusquʼà la mort. Mais MB en propose une autre : Les traductions disent « immole-le » ≠ « monte-le ». Dieu ne demande pas à Abraham de tuer son fils mais de le faire monter. Le mot « montée » peut sʼentendre comme « faire monter en immolant », au sens « élever vers lʼAutre », ne pas « retenir » (pour soi) de Lui.
Et le messager divin arrête Abraham : « Ne lance pas ta main vers lʼadolescent, ne lui fais rien ! Oui, maintenant, je sais que toi tu frémis dʼElohim (Justice) ! Pour moi tu nʼas pas épargné ton fils, ton unique. » Or, le verbe quʼon a traduit par « épargner » veut dire littéralement « retenir ». Craindre Elohim : respecter le Créateur qui sépare ses créatures et qui garde entre elles leur écart. La substitution finale d’un bélier est le symbole de fin des sacrifices humains et des idoles. Abraham est passé dʼune soumission à un dieu de mort à une loi divine qui protège la vie humaine.


Isaac, le fils libre


Abraham a donné son fils. Mais le divin ne le prend pas. Il ne le fait pas sien ; Isaac nʼest plus possédé. Isaac, fils dé-possédé, a disparu du champ sacificiel de la possession paternelle. Il est un fils différencié.
Ainsi de nous et de nos enfants : nous les « élevons » en ne les retenant pas de leur place « dans le nom divin », où se dressera leur être parlant en 1e personne.

Freud, le fils lié


YHWH dit à Abraham : « Va pour toi, de ta terre, de ton enfantement de la maison de ton père, vers la terre que je te ferai voir ». « Va pour toi ou Va vers toi ». YHWH est celui qui appelle lʼhomme vers lʼhomme. Nietzsche dira « Deviens qui tu es » et Freud « Où ça était, je dois advenir ».
Abram a obéi à la parole de Dieu, mais désobéi à la demeure de ceux qui lʼont abrité. Lʼhomme, pour accéder à la Parole tue symboliquement père et mère et sʼen va libre de servitude.
Mais cʼest impensable pour Freud. Le meurtre symbolique ne concerne chez lui que le père. « Qui remplacera, en cas de malheur, le fils à la mère ? ». Cʼest pour Freud la seule vraie question, il ne se la posera ni pour son épouse, ni pour ses enfants. A la mort de sa mère, il éprouve « un sentiment de délivrance dont (il croit) comprendre la raison. Cʼest que je nʼavais pas le droit de mourir tant quʼelle était encore en vie, et maintenant jʼai ce droit».
Abram a 75 ans au moment où cet appel lui est adressé, où lʼavenir humain sʼouvre à lui. Cʼest aussi celui de Freud à la mort de sa mère. Comment Freud, libre penseur, reste-t-il dans lʼobligation de vivre tant que sa mère est vivante ?
Quelle parole lui a fait défaut, qui lʼeût autorisé à quitter cette mère qui possède encore sa vie, qui ne lʼa pas vraiment mis hors dʼelle ?


Sacrifice de soi, Non-violence et Altérité


Pour les chrétiens, le sacrifice d’Isaac préfigure celui du Christ. MB propose une lecture « non sacrificielle » : ce nʼest pas Jésus qui se sacrifie pour obéir à son Père, mais Jésus qui, en homme de paix, refuse, fût-ce au prix de sa vie, de sacrifier lʼautre.
MB : la non-violence est-elle le sacrifice de soi ?
MB retourne au texte évangélique (Matthieu) : « Quelquʼun te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi lʼautre ». Pour MB, ce nʼest pas la seconde joue, cʼest une autre. Si je frappe sur la joue celui qui me frappe sur la joue, nous ne sortons pas de la symétrie. Si je tourne vers lui, non pas la seconde joue, mais lʼ « autre » joue, je nʼentre dans aucun mimétisme avec lui.    .
Si lʼanalyste accepte de se laisser conduire sur le terrain de lʼanalysé, lieu où il est attendu comme semblable, lʼanalyste peut présenter à lʼanalysé lʼécart de lʼaltérité. Idem en LE, avec lʼEcoute Résonnante, qui permet à lʼEcoutant dʼêtre en relation et aussi dʼêtre en sécurité.
MB met en garde contre la tentation de la perfection (idem en LE). « Le thérapeute nʼa pas à être quelque chose, mais seulement (et cʼest beaucoup) savoir se placer comme autre. Accepter que lʼautre ne soit pas lui, à lui, comme lui ; et aussi que lʼautre ne soit pas lui-même prêt à reconnaître quelquʼun dans lʼaltérité ».


Lʼaccès à « Je suis »
(Naître dʼen haut)


La saga dʼAbraham nous parle du travail quʼaccomplit lʼâme humaine avec lʼaide du divin pour parvenir à dire « Je » et « Tu » en vérité, sans dévoration ni possession. = LE : Etapes 1 et 2 à nouveau, E et M, les plus importantes dans le chemin.
Mais je viens sur son terrain et là, je lui présente lʼaltérité
« Cette voie, explique MB, me concerne en tant quʼanalyste. Nous sommes en effet des accoucheurs dʼâme et nous travaillons à ce que des êtres puissent se libérer de ce qui, après leur avoir fait matrice et maison, leur fait à présent prison et destin ». En lien avec Etape 5 de la LE : Identifier mes RDD et mes attachements
Pour « naître dʼen haut », accéder à la parole, impossible de ne pas détruire/sacrifier. Le commencement dʼun être humain, cʼest sa conception par son père et sa mère. Mais une fois quʼil parle en tant que « Je », il rejoint son origine. = Après être né dʼen bas, par le sexe et par la chair, il sʼagit de naître dʼen haut, de lʼintérieur, du commencement.


Devenir humain en se différenciant

Abraham est celui qui ne dira plus possessivement : ma terre, mon père, ma mère, ma femme (ma sœur), mon sexe, mon fils. Pas même mon dieu : 7e libération.
Sa parole était malade. Lui et le divin effectuent la guérison de la parole par la parole.
Quel mal est donc à lʼorigine de cette maladie du Verbe ? MB va se pencher sur le texte de la faute originelle.
« En Eden » : Texte fondateur sur le début de lʼhumanité.
YHWH Elohim prend lʼhomme et le dépose dans le jardin dʼEden et lui dit :
« De tout arbre du jardin, tu mangeras, tu mangeras. De lʼarbre à connaître le bien et le mal, tu nʼen mangeras pas, car du jour où tu en mangerais, de mort tu mourrais ». Puis il bâtit Eve pour que lʼhomme ne soit pas seul. Tous deux sont nus, lʼhomme et la femme. Ils nʼont pas honte.
Le serpent dit à la femme « Non ! Vous ne mourrez pas. Car Elohim le sait : du jour où vous en mangeriez, vos yeux se dessilleraient et vous seriez comme Elohim, connaissant le bien et le mal ». La femme prend le fruit, le mange, en donne aussi à son homme. Leurs yeux se dessillent. Ils savent quʼils sont nus. Ils cousent des feuilles de figuier et se font des ceintures.
Adam entend la voix de YHWH Elohim : « Où es-tu ? » « Ta voix, je lʼai entendue dans le jardin et jʼai eu peur parce que je suis nu. Je me suis caché ». (la 1e fois où lʼhomme dit « je », cʼest pour dire « jʼai peur »). « Qui tʼa informé de ce que tu es nu ? De lʼarbre dont je tʼavais ordonné de ne pas manger, as-tu mangé ? »
Première lecture possible : Dieu nʼavait pas donné à lʼhomme la connaissance du bien et du mal qui lui était réservée. Mais, si tel est Dieu quʼil donne la vie à lʼhomme sans la connaissance, quʼil lʼenferme dans une obéissance infantilisante lui interdisant de vouloir lʼégaler, ce Dieu est pervers. Dieu ne veut pas que lʼhomme le quitte, quʼil grandisse, quʼil devienne autonome.
Mais, propose MB, lʼarbre où se trouve le fruit est celui sur lequel est posé lʼinterdit divin, parole gardienne de ces différences. En manger, cʼest détruire la parole du dieu créateur et donc détruire la différence humain-divin et, derrière elle, la différence des générations. Lʼhumain perd alors lʼécart nécessaire à sa propre identité. = La Bible fait récit de la destruction dʼune place, celle du divin tiers témoin, garant de lʼaltérité. Lʼarbre de lʼautre, de la différence, a été mangé.
Cette lecture permet un changement de perspective qui fait apparaître l’Éden non plus comme le lieu d’une faute première, mais comme un lieu d’épreuve, un lieu qui raconte l’humanité arrivant devant elle-même : homme et femme, différents, et ayant à faire quelque chose de la différence des sexes.

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Au terme de cette enquête, Marie Balmary tire 4 enseignements :

  1. Elle a mieux apprécié lʼétonnant mouvement de Freud qui sʼest interdit de recourir à lʼhypnose, de « gouverner en lʼautre » = forme de sacrifice interdit.
  2. Lʼimportance des mythes dʼorigine en chacun de nous. LE = importance de lʼexpérience archaïque
  3. Le sujet qui sʼéveille commence par inhiber toute commande dʼautrui en lui, provoquant un « ralentissement psychomoteur ».= LE : ralentissement et infusion
  4. Le mystère. « En tant quʼobjet vivant du monde, lʼhomme peut être connu scientifiquement, parce quʼil se répète. Mais en tant quʼhumain, lʼhomme est aussi ce qui nʼest pas encore et lʼâme humaine, ce par quoi nous échappons à toute définition ». (Gustave Thibon, philosophe français, 1903-2001) Pour MB, « Celui qui arrive chez un psychanalyste est inconnu, venant à un inconnu. Lorsquʼil en repart, il est mystère ».

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Jʼai adoré le travail de MB qui pose des questions, remet en cause, ré-interroge les évidences, enquête, sʼintéresse à des détails, émet des hypothèses, ainsi que sa manière de décortiquer, de malaxer les mots. Certains passages, que je nʼai pas relatés ici, sont passionnants, comme le changement de nom de Saraï, femme infertile dʼAbraham, parce que « princesse de moi-son père » en Sarah, « princesse pour elle-même », ou dʼAbram en Abraham, avec lʼajout du « hé » féminin, la marque du manque féminin chez lʼhomme, à lʼimage de la circoncision.
* Bibliographie Marie Balmary
L’Homme aux statues. Freud et la faute cachée du père (1979) Le Sacrifice interdit. Freud et la Bible (1986) La Divine origine. Dieu n’a pas créé l’homme (1993) Abel ou la traversée de l’Eden (1999)
Je serai qui je serai (2001) Le Moine et la psychanalyste (2005) Fragilité, condition de la parole. La fragilité, faiblesse ou richesse ? (2009) Freud jusqu’à Dieu (2010)

« Spinoza avait raison » d’Antonio Damasio

Par Jocelyne Pringard (mars 2015) PLE – 8

Joie et tristesse, le cerveau des émotions


Ce livre, en fait, c’est un peu la rencontre d’un philosophe et d’un neuroscientifique à 400 ans d’écart.


Spinoza a vécu 44 ans de 1632 à 1677. Juif portugais, exilé en Hollande, il a été banni à 24 ans pour ses idées. Il remettait en cause la religion. il était d’une famille riche, conscient d’avoir été privilégié pour l’apprentissage de la culture.


Chez Spinoza, Dieu existe : mais c’est la nature qui s’exprime à travers les créatures vivantes.


Damasio a été interpellé par Spinoza.


Il l’a lu à l’adolescence, l’a trouvé fascinant et rébarbatif (1), l’a  oublié et l’a redécouvert (2). Il avait noté une phrase un jour sur un papier, et à un moment de sa vie, après ses travaux scientifiques, il a relu cette phrase et s’est aperçu que cela avait une correspondance avec ses travaux . Cette phrase c’était :
« Le fondement de la vertu est l’effort même pour conserver son être propre… et le bonheur consiste pour l’homme à vouloir conserver son être. « 
Spinoza a eu une intuition biologique de la nature de l’homme.
En effet, si Descartes dit qu’il y a le corps et l’esprit, il ne dit pas comment se passe l’interaction. Spinoza (3) cherche à surmonter ce problème des deux substances (Corps et esprit) et comment les intégrer.
Pour Spinoza, l’esprit et le corps jaillissaient parallèlement de la même substance inter-agissante et agissaient en symbiose à travers les différentes manifestations tant du corps que de l’esprit.
Spinoza comme Damasio disent que la joie et la tristesse sont des idées du corps qui s’efforce de manœuvrer pour atteindre un état de survie optimal. La joie et la tristesse sont des révélations mentales de l’état du processus vital.
Le signal émotionnel accroit l’efficacité du raisonnement et l’accélère. Nous retrouvons là des résonances avec la Logique Émotionnelle.
Damasio vérifie tout cela à travers des expériences scientifiques. Dans le livre, il y a un va et vient permanent (4) entre les « intuitions » de Spinoza et les découvertes de Damasio.
Damasio est portugais également. Il est né en 1944. Il est professeur de neurologie et parmi ses découvertes, il y a : la démonstration que les émotions sont impliquées dans la prise de décision.
Pour lui (comme pour Shakespeare cité dans le livre 5), les émotions précèdent les sentiments.
Mieux, il a réussi à le démontrer scientifiquement.
Damasio travaillait sur une malade atteinte de la maladie de Parkinson et comme souvent c’est par hasard qu’il a démontré que l’émotion précède le sentiment. Son équipe et lui faisaient des tests sur un traitement qui consistait à provoquer des réactions par des électrodes.
Sur une patiente, cela a déclenché une expression de tristesse, puis elle s’est mise à pleurer et a expliqué à quel point elle était triste.
Le praticien a arrêté l’expérience et 90 secondes plus tard, le comportement de la patiente est redevenu normal.
Ce qui est remarquable, c’est que les pensées liées à l’émotion ne venaient qu’après que l’émotion ait commencé.
Il y a aussi un chapitre consacré aux sentiments qui sont définis « comme un certain état du corps et un certain état d’esprit ».
« Les sentiments sont nos sentinelles. Ils font savoir à notre soi conscient, fugace et étroit, ce qu’il en est de l’état vécu de notre organisme ».
Le chapitre consacré aux sentiments est plus difficile à appréhender, Damasio est un chercheur.
Ce qui prouve aussi l’importance des émotions et des sentiments dans nos comportements, c’est que des patients ayant des lésions préfrontales restent capables de raisonnement, mais n’éprouvant plus d’émotion et notamment d’empathie deviennent incapables d’avoir une vie sociale normale.
Certains disent que Spinoza est le philosophe des scientifiques, C’est aussi le philosophe de la joie.
Spinoza « interpelle » suffisamment pour que Damasio ait fait ce livre et pour que Yalom ait écrit récemment ce roman passionnant « Le problème Spinoza ».

Concluons avec cette phrase de Spinoza citée par Damasio dans son livre :  » Spinoza nous dit que le bonheur est le pouvoir d’être libre vis-à-vis de la tyrannie des émotions négatives ».

Notes complémentaires :
Spinoza :  » Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment contraire et plus fort que le sentiment à contrarier ».
Spinoza nous dit donc de combattre une émotion négative avec une émotion plus forte mais positive, apportée par le raisonnement et l’effort intellectuel. L’idée selon laquelle on ne pouvait soumettre les passions que par l’émotion induite par la raison, et non par la pure raison seule est centrale  dans sa pensée.

Shakespeare (p 34) : A la fin de Richard II, Shakespeare annonce que le processus unifié de l’affect que nous appelons indifféremment émotion ou sentiment peut se décomposer en parties.
Les émotions précèdent les sentiments. Ce qu’on retrouvent en L.E. : le cerveau reptilien.
Damasio dit que c’est parce que les émotions sont forgées à partir de réactions simples qui favorisent la survie d’un organisme.
De l’humble amibe à l’être humain, tous les organismes vivants naissent munis de procédés conçus pour résoudre automatiquement sans qu’il soit besoin de raisonner les problèmes de base que pose la vie : trouver des sources d’énergie, incorporer et transformer de l’énergie, préserver un équilibre chimique intérieur compatible avec le processus de vie, se défendre contre les agents extérieurs que sont la maladie et les blessures physiques. Le mot « homéostasie » résume à lui seul l’ensemble de ces régulations.
L’effort continuel pour atteindre un état de vie positivement régulée est une part essentielle et profonde de notre existence, c’est même selon l’intuition de Spinoza la réalité première de notre existence, à savoir l’effort incessant (conatus) de chaque étant pour persévérer dans son être.
Lutte, effort et tendances, tels sont les trois mots les plus propres à rendre compte du terme latin conatus tel qu’il est utilisé par Spinoza dans les propositions 6, 7 et 8 de la troisième partie de l’éthique.
« Chaque chose selon sa puissance d’être s’efforce de persévérer dans son être ».
« L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien en dehors de l’essence actuelle de cette chose ».
Les émotions proprement dites, le dégout, la peur, le bonheur, la tristesse, la sympathie et la honte, ont directement pour but la régulation de la vie en conjurant les dangers, en aidant l’organisme à tirer avantage d’une occasion favorable ou indirectement en favorisant les relations sociales.
Damasio6 dit qu’il lui semble que les réactions qui donnent lieu aux préjugés sociaux et culturels sont en partie fondées sur le déploiement automatiques d’émotions sociales que l’évolution a mis en place pour détecter la différence chez autrui, parce que la différence peut signaler un risque ou un danger.  Cette sorte de réaction remplissait des fonctions utiles dans les sociétés tribales, mais elle n’est plus adaptée et encore moins utile dans nos sociétés.
Damasio classe les émotions en trois catégories : les émotions d’arrière plan, les émotions primaires et les émotions sociales.
Les émotions constituent le moyen naturel pour le cerveau et l’esprit d’évaluer l’environnement à l’intérieur et hors de l’organisme.
La chose déclenchant l’émotion n’a pas besoin d’être présente.
Spinoza l’avait vu  » l’homme est affecté du même sentiment de joie et de tristesse par l’image d’une chose passée ou future et par l’image d’une chose présente. »

Damasio est neurobiologiste et essaye de comprendre notre fonctionnement : Il y a une notion fondamentale des neurosciences cognitives : toute fonction mentale complexe résulte de la contribution concertée de nombreuses régions cérébrales à différents niveaux du système nerveux central plutôt que du travail d’une unique région du cerveau.

il est maintenant bon de se demander à quoi servent les sentiments.
On peut être d’accord avec Spinoza dit Damasio pour dire que la joie est associée à une transition de l’organisme vers une plus grande perfection.
Les cartes liées à la tristesse sont associées à des états de déséquilibre fonctionnel. Cela peut aboutir à la maladie et à la mort.
Dans la plupart des circonstances, les cartes corporelles de tristesse reflètent l’état réel de l’organisme.
Les sentiments sont nos sentinelles. Il font savoir à notre soi conscient, fugace et étroit, ce qu’il en est de l’état vécu de notre organisme.
La joie et la tristesse sont des idées du corps qui s’efforce de manœuvrer pour atteindre un état de survie optimal. La joie et la tristesse sont des révélations mentales de l’état du processus vital.
Différentes types d’actions deviennent associés à différents types d’émotions7.
Un sentiment au ventre peut vous suggérer d’éviter un choix qui dans le passé a eu des conséquences négatives.
Le signal émotionnel n’est pas un substitut du raisonnement proprement dit. Il joue un rôle auxiliaire et accroit l’efficacité du processus de raisonnement et l’accélère.
Bien qu’elle est rarement été dominante, l’idée selon laquelle les émotions sont intrinsèquement rationnelles remonte à il y a longtemps. Aristote, Spinoza le pensaient.
L’étude des émotions sociales n’en est qu’à ses débuts. Exemple du marxisme, de la soumission/dominance.

Proposition 18 de la 4ème partie de l’éthique :  » Le fondement de la vertu est l’effort même pour conserver son être propre, et le bonheur consiste pour l’homme à pouvoir conserver son être. »
Beauté de cette citation : elle contient le fondement d’un système éthique et ce fondement est biologique. Il est le résultat d’une découverte fondée sur l’observation de la nature humaine et non sur la révélation d’un prophète.
La définition du bien et du mal est simple et élégante. les objets bons sont ceux qui suscitent de façon fiable et durable, les états de joie dont Spinoza pensent qu’ils accroissent le pouvoir et la liberté d’agir. Les objets mauvais sont ceux qui produisent le résultat contraire : leur rencontre avec un organisme sont désagréables à celui-ci.
Les bonnes actions sont celles qui, tout en faisant le bien de l’individu via ses appétits et ses émotions naturels, ne font pas de mal aux autres individus. Cette injonction est sans équivoque. Une action qui pourrait être personnellement bénéfique mais ferait du mal à autrui n’est pas bonne, parce que faire du mal à autrui nous hante toujours et fait parfois du mal à celui-là même qui a agi ainsi.
On n’insistera jamais assez sur l’importance des faits biologiques dans le système de Spinoza.
Au bout du compte, tout ce que nous pensons et faisons résulte de certaines conditions et de certains processus antérieurs qu’il se peut que nous ne puissions contrôler. Mais on peut encore répondre catégoriquement « non », aussi fermement et catégoriquement que Kant, aussi illusoire soit la liberté de ce non.

La mémoire et la conscience chez l’être humain. Ce sont ces deux dons combinés ainsi que leur richesse qui donnent lieu au drame humain et lui confère un statut tragique ici et maintenant.
La confrontation avec la mort et avec la souffrance dérange l’état homéostatique.
Spinoza voit dans la bible un réservoir de connaissances utiles sur la conduite humaine et l’organisation civile.
La seule chose qu’on doit redouter c’est notre comportement. Quand on ne parvient pas à être bienveillant avec les autres, on se punit soi-même, ici et maintenant et on s’empêche d’atteindre la paix intérieure et le bonheur, ici et maintenant.

« Le jardin d’Épicure » de Irvin D. Yalom

par Christelle Binder

LE JARDIN D’EPICURE

Regarder le soleil en face

de IRVIN YALOM

Fiche de lecture de Christelle  Binder

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Le livre commence ainsi « la conscience de soi est un don suprême, un trésor aussi précieux que la vie. C’est elle qui nous fait humains ». Une invitation partagée avec celle de la Logique Emotionnelle, MIEUX SE CONNAITRE et la LE propose de se reconnecter à son corps, écouter la sensation vécue suite à l’événement perçu par un de nos 5 sens pour mieux vivre l’émotion (l’accueillir et la nourrir). L’émotion que traite Irvin Yalom dans son livre est celle de l’angoisse de la mort et il raconte des séances de thérapie ou il fait cheminer son patient vers comment apprendre à vivre malgré ses angoisses ?

Surmonter notre peur de la mort est une préoccupation majeure, omniprésente et universelle qui a le plus souvent un événement déclencheur : j’entends mon mari m’annoncer la perte d’un proche, je lis l’annonce d’un plan de restructuration dans mon entreprise, je touche une grosseur sur mon sein, je vois les années défiler à grands pas et le chiffre 50 s’approcher. Ces événements nous confrontent à notre statut de mortel : « il faut en général une situation critique ou irréversible pour provoquer chez l’individu un sursaut qui le poussera à quitter le mode quotidien (comment sont les choses dans le monde : nous sommes absorbés par notre environnement) pour adopter le mode ontologique (c’est le miracle d’être : nous sommes étonnés que les choses soient et que nous soyons). C’est ce que j’appelle l’expérience révélatrice. » ou PERCEPTION en LE.

Cette expérience révélatrice ou perceptions peuvent générer des SENSATIONS d’anxiété, de douleur, de panique :

« Je suis assise au bord d’un étang, les jambes plongées dans l’eau et une sensation désagréable m’envahit parceque de grandes feuilles s’avancent vers moi sous l’eau. Je les sens qui me frolent les jambes – pouah ».

La personne aura une raisonnance physiologique de ce qu’elle a perçu, le ventre noué, la gorge serrée, le visage crispé, la sensation de vide, …

et se traduire en RDD :  

« C’est alors que j’ai été prise panique et que je me suis réveillée en hurlant. Pendant des heures, j’ai évité de me rendormir de peur que ne revienne le rêve ».

Mais quel est le BESOIN ?

« Affronter la mort ne conduit pas forcément à un désespoir qui nous dépouille de toute raison d’être » ; « affronter la mort nous permet d’aborder la vie d’une manière plus riche et plus humaine ». Il nous invite ainsi à mieux goûter la vie, à en reconnaître la beauté, il nous invite à nous engager pour les autres, à mieux communiquer avec ceux que nous aimons. La peur de la mort s’appuie souvent sur notre besoin de laisser une trace immortelle de notre passage, Irvin Yalom utilise une belle métaphore : celle des ondulations sur l’eau, des rides sur un étang, c’est l’effet de rayonnement, chacun de nous crée des cercles concentriques d’influence qui toucheront les amis, les proches, et ces « rides » resteront le signe de notre passage. Qui laissera un trait de caractère, qui une expérience, un avis, une preuve de vertu, une parole de réconfort (l’effet RIPLING).

IL NOUS INVITE A NOUS METTRE EN ETAT DE MARCHE POUR DONNER UN SENS A NOS VIES :

« Croire que l’individu se perpétue, non dans sa personne propre, mais à travers des valeurs et des actions qui se répercutent à travers les générations futures, peut apporter un réconfort efficace à celui ou celle qui est angoissé par la mortalité » – « le rippling atténue la souffrance de l’impermanence en nous rappelant que quelque chose en chacun de nous perdure, que nous en soyons conscients ou non. »

Je vous propose ce témoignage d’un patient d’Irvin : « J’ai perdu mon père bien aimé… je me suis beaucoup interrogé sur ma capacité à affronter ma propre finitude et j’etais hantée par la pensée que moi aussi, je quitterais un jour cette vie. Pourtant, j’ai aujourd’hui dans ces peurs et ces angoisses un amour de la vie que j’ignorais … J’ai une vraie perception de ce qui est et de ce qui n’est pas important. Je dois apprendre à faire ce qui enrichit ma vie par opposition à ce que la société attend de moi ».

Une vie étouffée peut s’exprimer dans la peur de la mort car la personne n’a pas vécu la vie qu’il lui convenait. Réaliser son potentiel et s’accomplir pleinement dans sa vie est non seulement gratifiant mais aussi un rempart contre l’impermanence et l’imminence de la mort. C’est la manière dont nous interpretons nos expériences qui détermine la qualité de notre vie et non les expériences elles mêmes (spychologie positive)… et n’oubliez pas le rôle de la gratitude pour surmonter le regret du « trop peu / tard » (3 kifs par jour de Florence Servan Shreiber)

Professeur émérite de psychiatrie à Stanford, Irvin Yalom est psychiatre à Palo Alto (Californie).

« Certains refusent le prêt de la vie pour éviter la dette de la mort »

« Entendre les mots qui disent les maux » du Dr Christian Dufour

par Anne-Sophie Libert

ENTENDRE LES MOTS QUI DISENT LES MAUX.
LES SOURCES OUBLIEES DE NOTRE LANGAGE
du Dr Christian Dufour

Fiche de lecture d’Anne-Sophie Libert
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« Les mots savent de nous des choses que nous ignorons d’eux », René Char.

Riche de vingt-cinq années de consultation en tant que médecin généraliste, Christian Dufour a cherché ce qui se cache derrière le sens des mots des patients. Après des années de recherche, il révèle un langage archaïque qui préexiste au langage actuel, un pont qui relie les maux aux mots.

Ce langage est composé d’unités phonétiques vibratoires. Pour en prendre conscience, prononcez à haute voix les deux phrases suivantes. Elles ont une signification semblable et des sonorités différentes :

« Accroupi, le tigre gronde et, agressif gratte le roc de ses griffes »

« Tapi, le fauve rugit, et sauvage, laboure le sol dur de ses pattes ».

La première phrase inspire plus la crainte que la seconde avec la répétition des sons CR et GR. CR se retrouve dans les mots liés à la mort (crever, sépulcre, crypte, nécropole, crâne, crime, crémation, croque-mort…) ou à la casse (écraser, écrouler, craquer…). GR représente le saut, l’explosion ou la propagation (grisou, grenade, déflagration, grippe, grabuge, grondement…). Le son IF d’agressif et griffe symbolise pointe, pointu (if, canif, pif, récif…).

L’auteur appuie son hypothèse sur de nombreuses illustrations de ce type. L’ambition de son livre est de «saisir jusqu’où la biologie pénètre le langage humain et jusqu’où le langage pénètre la biologie humaine». Dr Dufour invite à la rencontre des sons et à retrouver la clé d’un langage oublié avec des mots qui délivrent des maux.

La première partie décrit de façon relativement technique ce langage puis Dufour aborde la formation originelle du langage et le conditionnement des mots.

LA DUALITÉ DU LANGAGE

Un schéma du cerveau distingue ses deux hémisphères. L’hémisphère gauche est le lieu de commande du langage verbal, de la lecture, l’écriture, l’analyse, parfois appelé le cerveau de la raison. L’hémisphère droit permet de reconnaître la globalité d’une situation, percevoir dans son ensemble et dans l’espace, attribuer une coloration émotionnelle, le cerveau de l’émotion.

Le langage se dédouble : notre langage actuel est conscient, composé de mots qui raisonnent, sollicitant les aires corticales du langage de l’hémisphère gauche. La source archaïque et non consciente de ce langage est composée d’unités phonétiques qui résonnent dans les aires associatives visuo-auditives de l’hémisphère droit.

Le langage archaïque est composé d’environ cent-vingt unités « schémo-émotémiques » listées dans l’ouvrage. Un schémème est un élément sonore relié à un schéma visuel. Par exemple le son CL est associé au concept visuel spatial de fermeture : bouCLe, CLé, CLic-CLac, CLore, enCLave, CLoison, CLapier, éCLuse, CLaustrophobe…

Un émotème est relié à une émotion. A titre d’exemples, les sons « aïe » et « ouille » traduisent une douleur ou un désagrément. Leur répétition « aïe aïe aïe, ouille ouille ouille » reflètent plus la crainte d’une douleur ou d’une difficulté. Ce marquage phonétique traduit les cris de douleur des blessures (entaille, s’ébouillanter), avec des objets usuels (bouilloire, cisaille, douille), des activités de guerre (bataille, mitraille), des maladies (caillots, défaillance) ou encore des douleurs morales (funérailles, dépouille).

Le son AR se trouve dans la prééminence et la menace. Au sommet hierARchique on trouve un phARaon, mahARajah, mandARin, césAR, tzAR ; dans la religion cARdinal, ARchevêque, ARchiprêtre et la noblesse mARquis, bARon, ARchiduc. L’ARsenal de l’ARmée menace avec ARme, ARc, cARabine, cARtouche, bombARder, bARbelés…Cette empreinte phonétique se trouve aussi dans les maladies telles l’ARthrose, infARctus, lARyngite, pARasite, vARicelle…

D’autres exemples de sons doués de sens :

EILLE, AYE          = sensible                    oreille,orteil, sommeil, veille, éveil, abeille, vieillard

AL                        = mal                           algie, céphalée, pâle, gale, hallali, râles, alerte, alarme

TR                        = peur                         trouille, trac, poltron, pleutre, tremble, traqué, tressaille

AM                      = amour                      amie,maman, amante, dame, famille, mamelle, âme

Un alphabet primitif liste également des lettres isolées douées de sens. Par exemple le C signifie la coupure : scie, couteau, canif, cutter, ciseau, scalpel, section…

Comme toute langue, elle comporte une syntaxe, une conjugaison, une polysémie (signification différente d’un même mot), un mode de lecture et une retranscription. L’ordre de lecture non conscient est inversé : le mot primitif se lit de la droite vers la gauche. Par exemple trac se découpe en tr et ac et se lit ac-tr, signifiant action qui fait trembler. Le lecteur a donc en sa possession tous les éléments permettant de décoder le sens caché des mots usuels. Ce code inconscient serait indo-européen donc des comparaisons de symboles d’une langue à l’autre sont possibles. Le livre fournit des exemples notamment de mots anglais et allemand.

Un paragraphe sur les « prémonitions du cerveau droit » démontre que le mot primitif précède la découverte scientifique. Le mot sol apparu au 12ème siècle se traduit par OL = rond et s= surface, soit surface ronde, avant que Galilée ne démontre au 16ème siècle que la terre est ronde. Ou encore  le mot infarctus traduisant sauts répétés à terre de l’action menaçante dans la pointe, apparu avant l’invention de l’électrocardiogramme dont les pointes tracées peuvent caractériser une menace. Le mot singe, passage de l’un dans l’autre du Savoir, anticipe l’évolution du primate humain.

Les noms propres étonnent aussi : Alzheimer se code par ère de transformation de l’énergie de l’essence de la personne violemment détruite par le mal du temps. Tibet : niveau haut perché de la Terre.

Pour Dufour, c’est un code nouveau de lecture des maux. L’eczéma se transcrit comme la lutte contre l’émanation de l’esprit des personnes créant une cassure alors que le médecin a vu apparaître de l’eczéma chez un nourrisson au moment du sevrage.

Pneumonie : ne propage plus une transformation volatile sang – air.

Ostéoporose : destruction de la limite, écarte, sépare, ôte l’os.

Drogue : danger de passage par la tête tout droit.

Alcool : goutte ronde qui coupe l’action du mal.

Cannabis : éloigne la coupure du temps.

LA FORMATION ORIGINELLE DU LANGAGE

Le mot primitif est né des onomatopées. L’onomatopée, du grec « création de mots », est un élément sonore imitant un cri animal ou un son de la nature ou d’un objet. Crac signifie le craquement naturel d’une branche ou d’un os. Le son CR s’est ensuite étendu à tous les mots désignant la casse. C’est un premier langage composé d’unités phonétiques significatives. Il conditionne des vibrations sonores à une émotion (aïe : douleur), se duplique et se transmet entre générations. Les cris humains (hurlement, rire, sanglot) ayant une signification semblable dans toutes les cultures, il existe des racines communes à plusieurs langues actuelles. Aujourd’hui encore on utilise des onomatopées (aïe, atchoum, couac, plouf, tic-tac, bling-bling…) et certains mots dérivés (cliquetis, brouhaha, couiner, miauler, vrombir…).

Pour assurer sa survie et le maintien de l’espèce, l’homme a cherché à manifester sa dominance en se battant avant de découvrir cette arme humaine redoutable et puissante qu’est le mot. En effet si je prononce le mot « araignée », chez certaines personnes cela inspire de la crainte alors qu’il n’y a pas d’araignée dans la pièce. L’homme découvre cette possibilité nouvelle qui est d’engendrer la peur et la crainte à travers la prononciation de mots, ce qui lui évite de prendre le risque renouvelé de se battre pour sauvegarder son territoire. Ainsi se développera le langage oral, menaçant pour le dominant et craintif pour le soumis.

L’évocation d’objet ou d’une personne en son absence se nomme l’abstraction. Il s’agit de porter attention à la représentation d’un élément. L’homme comprend qu’avec sa voix il peut émettre des sons signalant un objet. Il a le pouvoir de remplacer l’objet par le mot qu’il désigne et ce dans tous les domaines de perception. Si j’évoque l’odeur d’une fleur, l’odorat est sollicité alors que seul le mot « odeur » a été entendu.

L’auteur rappelle que le sens principal de l’animal est le flair, langage olfactif. Avec la verticalisation de l’homme, le flair se distançant du sol, le langage verbal s’est fortement développé et permet une communication à distance.

LE CONDITIONNEMENT DES MOTS

Ivan Pavlov a mis en évidence la notion de réflexe conditionné, aussi appelé le réflexe de Pavlov ou conditionnement pavlovien, à l’origine du dressage animal et du conditionnement humain. Si on fait entendre à un chien le son d’une clochette avant de lui donner de la nourriture et qu’on répète cette conjonction, le chien se met à saliver à la simple audition du son de la clochette. C’est la répétition et le renforcement de la récompense – ici la nourriture – qui induit la réaction du chien. L’absence de récompense et l’éloignement dans le temps entre les deux actes – agiter la clochette et apporter de la nourriture – éteignent progressivement le réflexe de salivation.

Cette expérience montre qu’un son associé à un acte provoque une réaction adaptative. Sa répétition provoque une réaction anticipée. La variation de la fréquence du signal ou l’absence de récompense entraîne une extinction du réflexe. Le conditionnement est donc le mécanisme de l’anticipation adaptative. Il est basé sur l’association et se développe avec sa réitération. On parle de généralisation conditionnelle lorsqu’un stimulus semblable à l’original provoque une réaction forte et similaire (par exemple un son proche de la clochette ferait également saliver le chien).

Ayant vu plus haut que le mot remplace l’objet, il peut lui aussi stimuler et déclencher une réaction physiologique chez celui qui l’entend. Si je prononce le mot « clochette » – avec répétition et récompense – le chien réagira. Il s’agit d’une généralisation conditionnelle sémantique. On comprend alors que le mot est un bruit-stimulus ou bruit-signal. Il conditionne une réaction neurovégétative et émotive.

On s’aperçoit que si on prononce un mot à consonance voisine (« clocher », « clochard »), il provoque également une réaction mais un peu plus faible alors que le sens peut être différent. Il existe donc aussi une généralisation conditionnelle phonétique.

POURQUOI A-T’ON OUBLIE LA SOURCE ARCHAÏQUE DU LANGAGE

Le nombre de sons utile à l’expression orale d’une langue étant limité, un conditionnement phonétique se réalise à notre insu lors de la mémorisation des sons dans l’enfance. Ce caractère inconscient qui ne passe pas par l’aire langagière de l’hémisphère gauche expliquerait que le langage archaïque reste ignoré.

La sophistication du langage actuel au-delà de son but premier de vecteur d’information et communication expliquerait aussi cet oubli.

Pour comprendre ces deux hypothèses, Dufour raconte l’évolution du langage chez un individu. Le cri du bébé est un signal sonore inné qui permet d’avertir de certains besoins ou d’émotions: faim, soif, douleur physique, insécurité et la non satisfaction de ses besoins. Ce signal produit des réactions de protection chez les parents.

Entre 6 et 10 mois advient une phase d’émission de tous les sons de base de la langue. Les sons signifiants entraînant le contentement des parents et des réponses adaptatives satisfaisantes (réflexe conditionné), une mémoire acoustique se développe.

Cette phase d’enregistrement phonétique et mélodique des sons se complète par une phase de différenciation d’éléments sonores par imitation dès 11 à 12 mois (« papa », « maman ») et de premiers liens entre signifiant et signifié. Viennent ensuite les mots et petites phrases.

Lorsque l’enfant se met à marcher, il assimile verbalement l’environnement qu’il perçoit. Il associe images et mots et enrichit son vocabulaire à un rythme effréné jusqu’à ce que le langage devienne un moyen de communication signifiante informative.

L’homme développe même un langage symbolique et complexe. Le langage devient notamment un jouet d’expérimentation esthétique pour les artistes. Le développement de ce langage civilisé et extrêmement élaboré a inhibé nos cris primaux. Le langage sophistiqué habille et cache sa source archaïque.

Enfin l’école et l’éducation en général ne favoriseraient pas la découverte de la source primitive. L’école oriente la sémantique des sons vers une sémantique globale du mot en apprenant aux enfants des mots entiers signifiants. Nous devenons alors sourds à l’écoute phonétique et son empreinte émotionnelle ou géométrique et spatiale.

LE LIEN AVEC LA LOGIQUE EMOTIONNELLE (LE)

La LE est une démarche de connaissance de soi à travers l’observation de ses émotions, la compréhension et la pratique de leur langage. Cet apprentissage passe par la prise de conscience du fonctionnement de la partie reptilienne du cerveau, aussi appelé cerveau archaïque.

Christian Dufour s’intéresse à l’empreinte archaïque émotionnelle et sensée des mots. La LE s’intéresse à l’émotion, mouvement de vie archaïque dont nous sommes imprégnés et qui est doué de sens.

Le livre contient plusieurs références à Henri Laborit. Ce chirurgien et neurobiologiste a étudié les mécanismes liés au stress dont s’est inspirée Catherine Aimelet-Périssol pour fonder la Logique Émotionnelle.

Dufour et la LE ont en commun une approche étymologique du langage verbal. L’étymologie cherche à établir l’origine formelle et sémantique d’un mot. Elle s’appuie sur la phonétique historique et l’évolution sémantique des termes. Sans même remonter jusqu’aux sonorités oubliées, l’étymologie permet de dé-voiler certains mots et préciser leur sens. Par exemple émotion vient de motion qui signifie mouvement.

Ma compréhension est qu’ils partagent également une approche biologique de l’individu. La biologie est la science du vivant. Etymologiquement « bios » signifie vie et « logos » discours, traité, parole. La LE apporte un éclairage bio-logique – avec une logique de vie – sur les émotions humaines. Pour les deux, l’entité corps-esprit est abordée comme un ensemble. Biologie et psychologie fonctionnent de pair.  

La LE a développé un outil – le tétralemme – permettant de cartographier le mouvement émotionnel en termes de perception, sensation, réaction de défense et besoin nourri dans l’instant. De nombreuses notions relatées par Dufour rejoignent ces éléments.

Le mot bruit-stimulus ou bruit-signal, vecteur d’information, est une perception.

La douleur est une sensation et son empreinte phonétique « aïe » non consciente et cachée dans les mots est un ressenti.

Le réflexe conditionné pavlovien, aussi défini dans le livre par Setchenov comme «  réaction de l’organisme envers le monde extérieur », est la réaction de défense.

Les notions  de récompense et de restauration de l’intégrité, assimilées au plaisir sont les besoins nourris. Ils correspondent au processus d’auto guérison structurel. Dans sa dimension représentée par l’esprit, ces notions se traduisent par le besoin de protection à travers le pouvoir ou la dominance.

En fin d’ouvrage, Dufour aborde « l’indivi(se)dualité ». L’homme est un tout indivisible, or on ne cesse de le dualiser : hémisphères gauche/droit, corps/esprit, phonétique/sémantique, etc. La réunification en une unité permet l’individualité et la guérison de l’être. Cette notion s’approche de celle d’alliance en LE. Tout comme les mentions « d’acte libre » et de « voies concrètes d’une libération » de Dufour rappellent celle de libre-arbitre et de responsabilisation en LE. Une conscience élargie aux multiples chemins possibles permet d’agir plutôt que de réagir.

CONCLUSION

J’ai été fascinée par la lecture de ce livre.

Curieux, dubitatifs, amateurs de linguistique et de poésie, je vous le recommande.

Selon l’auteur, la révélation de ce code archaïque conditionné est une étape vers la biologisation du mot, source d’une nouvelle médecine biologosomatique. La biologosomatique est une approche de la maladie reliant le corps (soma) au langage (logos) via la biologie. La maladie serait issue d’un mal à dire des mots inhibés par la peine. Le malade exhibe sur son corps un message caché ou inhibé dans son cerveau. Ecouter les mots des patients et décrypter leurs maux délivrent de cette inhibition. Les sons sont inconsciemment empreints d’une expérience vécue et sont porteurs de sens.

Apprivoiser sa culpabilité

De Catherine Aimelet-Périssol et Aurore Aimelet
(Albin Michel, 2013)

La culpabilité, c’est tous les jours quand nous nous répétons « j’aurais dû », « je dois », « il faut », « il ne faut pas ».

C’est mauvais, la culpabilité ?

Faux !

En réalité, elle a du sens… à conditions de savoir la décoder pour en retenir le versant constructif.

Un livre qui soulage !

« Et Nietzsche a pleuré… » de Irvin Yalom

Par Claude Guichet

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Fiche de Lecture mars 2010

Ce roman relate l’histoire d’une  rencontre qui aurait pu avoir lieu en 1882 entre le philosophe Friedrich Nietzsche affecté de nombreux maux (tête, estomac, cécité …) et le Dr Joseph Breuer, médecin praticien viennois connu et reconnu. Irvin Yalom s’est appuyé en effet sur une lettre retrouvée dans la correspondance de Nietzsche où la rencontre entre les deux hommes a été réellement  envisagée par ses amis.

Cette rencontre imaginée par Irvin Yalom se déroule entre Octobre et Décembre 1882 à Vienne. Elle explore les relations entre les deux personnages et leur entourage à travers une succession d’entretiens, de lettres et d’évènements qui illustrent de manière vivante et romanesque les débuts de la psychothérapie, de la psychanalyse et pour ce qui concerne notre propos la relation Ecoutant-Ecouté et la bio-logique des émotions.

Notre grille de lecture étant la  Logique Emotionnelle, je vous dirai ce qui a fait écho pour moi et ce que cet exercice  m’a fait découvrir, ressentir.

Au préalable je vais vous resituer le texte dans le contexte avec une présentation succincte des deux principaux protagonistes et la trame de cette rencontre telle qu’imaginée par Irvin Yalom.

I – Les deux Personnages principaux

1-1 Le Docteur Joseph Breuer (1842 – 1925) : a donc 40 ans au moment où se situe l’histoire en 1882.

– juif non pratiquant, marié à une « belle » femme juive avec qui il a 3 enfants.

– médecin et praticien reconnu (aurait pu devenir Pdt de la Faculté de Médecine de Vienne). Il voit de plus en plus de gens souffrant de troubles psychiques.

– a suivi et traité les troubles d’hystérie  d’une belle jeune femme (21 ans) dénommée Bertha.

– a des relations amicales avec le jeune médecin chercheur Sigmund Freud alors âgé de 26 ans et avec qui il publiera « Les Etudes sur l’Hystérie » en 1895. 

1-2 Le Professeur Friedrich Nietzsche (1844-1900)

– ex-professeur de philologie de l’Université de Bâle.

– écrivain et philosophe pas connu à cette époque, a publié « Humain trop Humain » en 1878 et le « Le gai Savoir » début 1882. Il est en train de rédiger « Ainsi parlait Zarathoustra » qui sera publié en 1883.

– a de nombreux maux (tête, estomac, vue…) et  ses fréquentes migraines l’ont conduit à arrêter l’enseignement. Il passe son temps à voyager pour trouver le climat qui lui convient dans le sud de l’Europe (n’aime pas le froid)

-sort d’une relation courte et tumultueuse avec une jeune femme « intelligente, d’une grande beauté » Lou Salomé, liée également à un autre philosophe Paul Rée.

Le nœud de l’histoire commune aux deux personnages est qu’ils sont « pris » dans une relation triangulaire ou« pythagoricienne » selon les mots de Nietzsche dans le roman :

Breuer finit par tomber amoureux de sa patiente Bertha et devient jaloux du jeune médecin qui a pris le relais du suivi de Bertha et qui tombe lui aussi amoureux de Bertha . Suite à la révélation « fantasmée » de Bertha comme quoi elle serait enceinte du Dr Breuer, la femme du Dr Breuer exige qu’il arrête immédiatement de suivre le cas de Bertha.

La rencontre de Nietzsche avec Lou Salomé à Rome remonte à avril 1882. Avec Paul Rée philosophe et ami de Nietzsche, ils parlent de former à 3 une micro-communauté intellectuelle. Nietzsche fait une proposition de mariage à Lou Salomé un mois plus tard, celle-ci refuse et c’est le début du désamour …

II – La Fiction de la Rencontre Nietzsche – Breuer.

Lou Salomé rencontre le Dr Breuer pour le convaincre de recevoir Nietzsche afin de l’observer, le soigner et l’empêcher de mettre fin à ses jours comme il lui écrit dans ses lettres.

Entretiens entre le Dr Breuer et Nietzsche et la relation Thérapeute/ Patient ou Ecoutant/ Ecouté s’inverse progressivement.

1/ au début du roman, Nietzsche refuse catégoriquement de se faire hospitaliser et de subir la relation de pouvoir du thérapeute.

2/ stratagème de Breuer :

Breuer soignera le corps de Nietzsche et Nietzsche soignera les troubles obsessionnels de Breuer / Bertha.

Breuer pense gagner ainsi la confiance de Nietzsche et le conduire à parler de sa relation avec Lou Salomé et de ses tentations suicidaires.

3/Progressivement Breuer ressent la profondeur de son désarroi, l’accepte et s’en remet à Nietzsche pour l’aider à en sortir

III – La lecture de ce livre et l’écho avec la LE, la relation Ecoutant/ Ecouté, l’écoute résonante.

Breuer a découvert une méthode qui semble guérir les troubles de Bertha en  remontant aux causes premières des symptômes. En les retrouvant et en les exprimant les symptômes disparaissent …il s’agit « d’une cure par la parole » dénommée dans le livre « le ramonage ». Par exemple Bertha fait de l’hydrophobie, elle ne boit pas une goutte d’eau et le fait d’évoquer le souvenir d’un chien qui vient laper l’eau dans son écuelle, la phobie disparaît, au moins momentanément !

Nietzsche qui entend parler de cette méthode avec Breuer va l’utiliser à son tour pour explorer les troubles obsessionnels de Breuer.

Ce qui marche avec cette méthode de « cure par la parole » :

– quand Nietzsche reprend un mot de Breuer avec la forme interrogative (Ecoute Résonante)  pour relancer l’écouté et le laisser développer …

– la philosophie de Nietzsche résonne avec la LE : la pensée procède du corps, ce n’est pas l’intelligence qui pense mais le corps ! Rupture avec l’idéalisme, l’ascétisme et le spiritualisme chrétien où seule l’idée est considérée comme pure. La conscience, l’esprit pensent sans relation avec une matérialité, avec le cerveau. Nietzsche veut le consentement au corps, l’amour de la Vie …

– le corps = Volonté de puissance : puissance d’exister par-delà le bien et le mal comme la plante ou l’arbre est attiré irrésistiblement par la lumière contourne /franchit  les obstacles pierre, roche, bitume …

– en LE : la finalité de l’Etre c’est d’Etre !

Ce qui ne marche pas :

– quand Nietzsche développe, explique ses concepts philosophiques : se reconnaître comme simplement humain, s’accepter tel que l’on est ou encore « l’éternel retour » … Breuer entend, comprend  le discours de Nietzsche mais cela ne l’aide pas, trop théorique, trop loin de ses Sensations/Perceptions à lui, ça ne lui parle pas, ça n’empêche pas ses troubles obsessionnels

 Ce que j’ai intégré en lisant ce livre et qui illustre une des propositions du Ch 7 Le Funambule dans « Mon Corps le sait »  de Catherine Aimelet-Périssol et Sylvie Alexandre.

* la personne est émue quand elle est partagée/ coupée dans la polarité de ses besoins

Sécurité : Breuer place le curseur du côté « Sureté », assurer les besoins de sa famille et de ses enfants, lui-même enfant « avenir tout tracé », «  enfant infiniment prometteur », se réfugie dans le travail quand le reste ne va pas bien, va fleurir régulièrement la tombe de ses parents  .Il s’accorde peu de Liberté par rapport à  son avenir déjà tracé …

Identité : Breuer fait partie de la bourgeoisie juive médicale de Vienne qu’il critique « immuable », «pétri de conformisme » mais de laquelle il ne se démarque pas ostensiblement, se retrouve dans les mêmes cafés pour discuter, se détendre. Il porte les mêmes « habits noirs de médecin viennois », «sérieux »  et « distant »

Réalité d’Etre : plus du côté Harmonie avec sa femme, sa famille, ses amis, il évite les sujets et discussions trop personnelles .Il ne se confie pas même avec Nietzsche car  il y a cette interrogation est -ce que ce que je lui dis va le choquer ? 

Il est donc coupé dans la Polarité de ses Besoins côté  Liberté (les couleurs, la spontanéité…), Différence (se battre comme un guerrier, il refuse de la compétition avec les autres hommes par exemple avec Bertha il sait que son son statut de Médecin et sa connaissance des ressorts  de Bertha font que aucun autre homme ne peut rivaliser avec lui pour Bertha), Initiatives (n’a rien fait pour devenir Pdt de la Faculté de Médecine).

Bertha est le miroir de ses manques et incarne à ses yeux ou lui renvoie l’image de la Liberté, la Différence et les Initiatives …

Face à cette Passion obsessionnelle pour Bertha que Breuer confie et explore « par la parole » avec Nietzsche, Irvin Yalom retrace en filigrane la relation passionnelle inverse dans les polarités et décrite comme « haineuse » que Nietzsche entretient avec Lou Salomé à travers ce qu’en dit Lou Salomé à Breuer et les lettres que Nietzsche envoie à Lou Salomé. 

En effet le curseur des polarités chez Nietzsche est du côté de la Liberté (retraite qui lui permet voyages et itinérance), de la Différence (la solitude ne lui pèse pas, il ne recherche pas la compagnie…) et des Initiatives personnelles (la création, l’écriture de ses livres est son œuvre et sa Vie, il rédige à cette époque son  œuvre majeure « Ainsi parlait Zarathoustra »).

Lou Salomé lui a fait percevoir ou révélé cette part qui lui manque (Sureté, Connivence intellectuelle forte …) et à laquelle il ne semble pouvoir accéder seul !

Conclusion : ce que ce livre m’a appris, ce qu’il a fait résonner chez moi …

J’ai goûté avec cet exercice la part de hasard, de tâtonnements dans la connaissance, la découverte de soi à soi, pour soi.

1/ être ouvert, faire le vide, accepter de ne pas savoir ou si peu par rapport à tout ce qui reste à connaître.

Et je pense au mouvement de l’algue ballottée par la mer, bougeant en surface au gré des mouvements des vagues ou encore à un autre mot « voir c’est recevoir passivement ». Accueillir l’événement, l’accepter tel qu’il est, ne pas vouloir le retenir, se l’approprier…  faisant écho à  une formule de Arnaud Desjardins «Intérieurement Activement Passif ».

2/ laisser résonner  en Soi, sentir, se laisser toucher et être présent, ancré, enraciné face à l’événement  … Et là je pense au  « Bambou » droit comme une antenne qui capte les ondes et les transmet à l’écran du téléviseur qui reçoit les informations, les images mais sans réagir … ou encore cette autre formule de Arnaud Desjardins « Extérieurement Passivement Actif »

Et c’est bien de ce dialogue Corps/Esprit que naît le mouvement fluide, l’idée juste  pour Soi, faite d’intuition, d’élan ou d’instinct.

Cette distance, ce recul par rapport au livre de Irvin Yalom et la résonance qu’il a suscité, s’est manifestée par hasard avec l’écoute de l’opéra « Carmen ».C’est un de mes opéras préférés que j’essaie de faire découvrir à mes garçons .En réécoutant le CD dans la voiture la semaine précédant le stage LE de mars, j’ai saisi tout à coup que le nœud de l’histoire de l’Opéra de Carmen avait aussi quelque chose à voir avec cette relation « pythagoricienne » ou triangulaire ( Carmen la Zingara  / Don José le soldat / Escamillo le Torréador) et que l’intensité de l’émotion ressentie , la passion vécue jusqu’au drame, renvoie aussi à cette coupure dans les polarités des besoins telle que le dit la Logique Émotionnelle   :

Carmen : La Liberté  (ce mot revient comme un leitmotiv dans les différents airs), la Différence, les Initiatives (les amours de Carmen ne durent pas plus de 6 mois)

Don José : le soldat loyal, fidèle, qui répond au son du clairon, appartient à un régiment et dont la première qualité attendue d’un brigadier est l’obéissance …

Et Carmen va chambouler complètement ses repères et le conduire au drame, à la tragédie !

Et là j’ai compris, j’ai vu en entendant cet Opéra ce qui me touchait dans cette musique, ses pulsations, son rythme, le souffle, le timbre des voix, les sons et les images des paroles, le tourbillon, le vertige de l’émotion quand l’individu est coupé, partagé. La LE  trouvait là, à cet instant, une application évidente que je sentais et offrait une lecture inattendue de  ces relations pythagoriciennes découvertes l’une  à travers la lecture du livre de Yalom et l’autre avec l’Opéra de Carmen. La Logique Émotionnelle prenait un tour plus passionnel, entier, immédiat, instinctif touchant à ce qu’il y a de plus humain, de plus profondément  humain qui pouvait conduire à des comportements diamétralement opposés :

–  la joie, l’enthousiasme (traduction du mot grec « folie divine ») quand les polarités sont unifiées

–  la folie humaine quand les polarités sont irrémédiablement coupées chez l’individu avec son lot de névroses /psychoses plus ou moins  morbides/mortifères pouvant conduire jusqu’à … la lutte à l’arme blanche entre les deux rivaux  et la fin tragique, le désespoir de Don José et la mort de Carmen.

Et de revenir à ma mémoire ce symbole du « bivium pythagoricien » y découvert par hasard  il y a trois ans, sur fond de tapisseries de l’Apocalypse du Château d’Angers en même temps que d’autres symboles et événements  dont la synchronicité m’était apparue de façon tout à fait inattendue .Et le sens donné à ce symbole y dans une brochure «  le carrefour de la vie , symbole du choix entre vie et mort , vertu et vice » .

Et je n’étais pas arrivé au bout de mes associations et découvertes : j’avais entendu en effet à une émission de radio du dimanche matin « Maison d’Etudes » avec comme invité Marc-Alain Ouaknin qui expliquait que le y  renvoie dans l’alphabet hébreu à « AYN » qui désigne l’œil,la source , la lumière avec deux sens ou deux mouvements distincts :

– la vision globale, large et intuitive « je vois et je comprends » (est  dit « sage » celui qui voit l’avenir)

–  et  « je veille », je suis vigilant, l’attention, le regard  sont plus précis.

Dans le livre de Marc-Alain Ouaknin « Les Mystères de l’Alphabet », il apparaît que ce symbole pythagoricien de la tapisserie d’Angers ressemble bien à la forme graphique classique (écriture carrée) du mot hébraïque « AYN »  ou « OYN » qui a donné la lettre O de l’alphabet hébreu (et non pas la lettre de l’alphabet Y comme je vous l’ai dit dans mon exposé). Il est précisé en outre que ce « AYN » énonce tout ce qui est de l’ordre du visible, du Voir, du regard, de l’apparition. Mais qui dit apparaître dit aussi cacher, recouvrir. Ainsi le « AYIN »est le passage entre l’intérieur et l’extérieur, entre les profondeurs cachées et ténébreuses de la Terre et la clarté du monde solaire .Le « AYIN » c’est la source (le jaillissement) le point de passage de l’eau souterraine à l’eau qui coule à la lumière .C’est le point où l’être se dévoile mais en même temps se voile …Avec le « AYIN » le monde devient pluriel, multiple, découvert, secret.

Et d’entendre encore dans cette même émission radio que la lettre « O » est suivie par la lettre « P » dont la forme originaire représente la bouche et d’en déduire « Si on voit, on peut parler … » …et de lire toujours chez Ouaknin que dans « AYIN » il y a une seconde dialectique celle du voir et de l’entendre. « Chemà », « écoute » s’écrit « cham-ayin » « là-bas l’oeil » .Entendre est une façon de voir plus loin, au-delà de la simple apparition qui se fait dans la proximité.

Et là, retour direct au Ch 7 Le Funambule page 140 de « Mon corps le sait », « VOIR ou REGARDER, ENTENDRE ou ECOUTER. »

« L’émotion vient fixer la vision ou l’ouïe sur l’une ou l’autre de ces facultés, comme si les possibilités de mobiliser l’ensemble étaient perturbées, bloquées. Ce clivage en soi prive de l’information globale. Pas étonnant que la personne prenne pour elle ou contre elle ce qu’elle voit ou ce qu’elle entend. ».    

« Sous le signe du lien » de Boris Cyrulnik

Par Pierre MASSOT

« SOUS LE SIGNE DU LIEN »

de Boris Cyrulnik

Fiche de lecture de Pierre MASSOT

PROMO 3

Dans ce livre où l’on observe des goélands, des chimpanzés, des tiques, des canetons, des martins-pêcheurs, des chiens, des oies cendrées, des moustiques, des épinoches, des choucas, des chats, des hommes et des femmes, l’introduction donne le ton :

Les observations qui vont suivre dans ce livre sont fausses. Mais comme elles ont été faites par des observateurs qui savent à quel point l’observation est une création, elles restent « révisionnables » : ce qu’on a vu reste à revoir.

Ceux qui disent : « C’est évident, il n’y a qu’à voir » vivent dans un monde impressionniste. Ils croient observer le monde, alors qu’ils n’observent que l’impression que le monde leur fait.

Cela me semble un premier lien avec notre préoccupation sur les perceptions et les sensations.

L’ouvrage qui se définit comme une histoire naturelle de l’attachement commence par la vie intra-utérine.

Un chercheur ne possédait qu’un vieux disque dans l’environnement familial de sa femme enceinte : c’était Pierre et le loup. La séquence du basson est célèbre à cause de son intensité et de l’abondance des fréquences basses. Il se trouve qu’elles pénètrent très bien dans l’univers sonore de l’utérus.

Le bébé gambadait dans son univers utérin quand le chercheur passait Pierre et le loup. Après la naissance, il s’agitait, augmentait ses succions et tournait sa tête vers cette musique familière, alors que Bach ou Brassens le laissaient indifférent.

Des bébés japonais dont la vie intra-utérine s’est déroulée près de l’aéroport d’Osaka, s’apaisent très facilement dans un univers sonores d’avions, alors qu’ils deviennent insomniaques dans un univers silencieux.

Le bébé cesse d’être un produit biologique ou un bâton de vieillesse. Il devient une petite personne très soumise à nos fantasmes. Ce qui ne rend pas sa vie plus facile.

L’histoire se poursuit par la naissance du sens : toute information est inscrite dans le biologique, mais dès qu’elle est perçue, cette stimulation prend sens parce qu’elle est interprétée. L’histoire du percepteur donne du sens à cette perception.

Les nouveau-nés, sans aucune stimulation extérieure, sourient de tout leur visage, pendant leur sommeil paradoxal.

Nous avons observé ce qui se passe entre le bébé émetteur de ce premier sourire paradoxal et l’adulte maternant récepteur de cet indice comportemental.

En vingt ans de pratique, jamais nous n’avons entendu une mère dire en percevant ce sourire : « Tiens, le neuropeptide qui provoque le sommeil paradoxal vient de provoquer la première contraction des commissures labiales de Nathalie. » Jamais !

En revanche, lorsque les mères perçoivent le premier sourire du bébé, elles interprètent toujours ce premier sourire et disent : « Il me reconnaît déjà », ou bien, « Il sourit grâce à moi », etc. (Elles ne savent pas que c’est le neuropeptide qui a fait le coup).

Mais, ce disant, elles approchent leur corps du bébé souriant, elles l’appellent et créent autour du bébé une atmosphère d’intense sensorialité composée d’odeurs, de sonorités proches, de contacts et de chaleur.

L’interprétation qu’elles donnent du fait (le sourire biochimique) crée autour du bébé une sensorialité chaude.

La manière dont la mère interprète ce sourire vient de sa propre histoire et du sens qu’elle attribue à ce fait. La preuve c’est que chaque mère donne sa propre interprétation. Nous avons entendu : « Pauvre enfant … il sourit … il ne sait pas ce qui l’attend … Je n’aurais pas dû le mettre au monde ». 30 à 40 % des jeunes mères donnent cette interprétation anxieuse. Cette représentation enracine une attitude corporelle radicalement différente : ce disant, la jeune mère se raidit et regarde l’enfant avec angoisse. Ce faisant elle éloigne de son bébé les informations sensorielles émises par son corps. Cette interprétation dépressive, venue de l’inconscient maternel, crée autour du bébé un monde sensoriel froid.

Le sens que la mère a donné au sourire a modifié les sens qui médiatisent et tissent le lien de l’attachement. L’histoire naturelle du sourire, dès sa première production, a mélangé le sens et la vie, l’interprétation et la biologie.

Le livre poursuit la biologie de notre histoire, la mise au monde du père, la sexualisation, la naissance du couple, la naissance de l’attachement puis l’apparition du détachement.

De part en part, on y voit mise en évidence l’importance des représentations sur les comportements. On y voit aussi l’importance de la culture et de ses interactions jusque dans le biologique.

Par exemple, à propos de la sexualisation :

La culture, c’est-à-dire les enseignants, les voisins les médias et bien d’autres, participe au façonnement du comportement sexué. Les moniteurs de sport, hommes ou femmes, parlent en regardant beaucoup plus les garçons que les filles. D’une manière générale, les adultes s’adressent plus aux garçons en groupe … et aux filles dans l’intimité.

La communication sensorielle devient très différente selon le fantasme de l’adulte.

Un petit film projeté devant des étudiants montrait un bébé de neuf mois en pleurs. « Pourquoi ce garçon pleure-t-il ? » demandait l’observateur. Les étudiants répondaient : « Parce qu’il est en colère ! »

Un autre groupe, auquel on disait : « Pourquoi cette petite fille pleure-t-elle ? »  répondait : « Parce qu’elle a peur ». La même image avait provoqué une interprétation très différente selon la représentation du stéréotype sexuel, induite par la question.

Cette idée provoquait des réactions comportementales très différentes : les adultes disaient en s’adressant aux bébés-garçons : « Calme-toi un peu, mauvais caractère. Ah, ces garçons, ils veulent être servis tout de suite » alors qu’ils disaient aux bébés-filles : « Calme-toi ma cocotte, ce n’est rien, n’aie pas peur … »

Cette action fantasmatique pourrait expliquer pourquoi les bébés-garçons développent plus d’activités autocentrées et agressives que les bébés-filles : l’action fantasmatique des adultes ne les tranquillise pas !

La notion d’empreinte, longuement abordée, et qui me semble en ligne directe avec le fonctionnement reptilien, révèle une réflexion sur la peur qui nous intéresse :

Cette série d’observations fait apparaître l’idée que la peur et la perte dépendent du sujet, bien plus que de l’objet. Un « raisonnement à l’évidence » dirait que le sujet a peur parce que cet objet est effrayant, ou bien que le sujet souffre parce qu’il a perdu l’objet de son amour.

Un raisonnement éthologique dit au contraire : le sujet a peur parce qu’il a incorporé une catégorie d’objet à laquelle il s’est familiarisé et que l’objet présent lui est étranger.

Nous sommes donc autorisés à dire que les sentiments de peur, d’amour ou de perte résultent de modifications intérieures au sujet. Ce n’est plus l’objet qui fait peur au sujet, comme dans une réflexion issue du modèle mécanique où une cause produit un effet. C’est le sujet qui ressent de la peur pour cet objet qu’il catégorise parmi les objets étrangers parce que, des années auparavant, il a incorporé l’empreinte d’une autre catégorie d’objets auxquels il s’est familiarisé.

Le sujet devient créatif dans la peur, dans l’amour ou dans la perte et pas réactif comme on le croit habituellement : il est devenu craintif parce qu’un chien lui a fait peur … Il est devenu délinquant parce qu’il a manqué d’affection …

Mais cette modification endogène résulte d’une autre conception de la biologie : on ne peut plus penser la biologie en tant que métabolisme à l’intérieur d’un corps isolé du monde. Il s’agit maintenant de métabolismes où l’intérieur incorpore les pressions extérieures pour créer une aptitude.

Cela me semble en phase avec ce que Catherine et Sylvie écrivent dans leur livre :

On pense habituellement que c’est de l’inconnu dont on a peur. Cela est un contresens puisque la peur est fondée sur une mémoire d’un passé douloureux à éviter et sur la conscience d’un avenir qui nous mène à la mort. La peur au présent est donc l’expression de ce choc de savoirs qui nous demande de protéger notre structure. Ainsi donc, nous projetons inévitablement du connu dans un environnement et un avenir à risque.

L’idée débouche aisément sur la notion de croyance, abordée par Cyrulnik :

Les croyances qui aujourd’hui organisent le plus intensément nos destins peuvent se classer en croyances internes et croyances externes.

Les hommes qui croient que leur destin est gouverné par des forces extérieures se retrouvent en bas de l’échelle sociale où ils occupent des postes soumis à l’opinion d’autres hommes. Alors que ceux qui croient en un déterminisme interne, un choix intime de leurs projets d’existence se retrouvent dans des postes à responsabilité, dans des histoires de vie plus libres, moins soumises aux contraintes sociales.

Face aux cris d’un bébé, les mères à « croyance externe » manifestaient un long temps de latence avant de toucher le bébé (caresser, tapoter, prendre aux bras, donner le biberon, etc.). Ce faisant, elles produisaient très peu de paroles à l’adresse du bébé.

Alors que la population de mères à « croyance interne » (celles qui croyaient au déterminisme intime de leur destin) répondaient beaucoup plus vite aux cris du bébé, le touchaient beaucoup plus et surtout produisaient beaucoup plus de paroles.

Notre manière de penser modèle notre manière d’agir et modifie le monde perceptuel du bébé : un bébé qui vit dans un milieu où l’on croit aux déterminismes externes se développe dans un environnement sensoriel froid, à faible rescousse comportementale, à faibles interactions parolières.

Alors qu’un bébé né dans un milieu où l’on croit à un déterminisme interne, où l’on pense que les décisions peuvent gouverner nos vies, où l’on croit à la liberté, se développe dans un monde sensoriel chaud, où la proximité des contacts, des stimulations auditives, olfactives et tactiles va épanouir ses comportements et ses métabolismes.

Voilà peut-être de quoi nous faire réfléchir sur les sources de notre difficile équilibre sécurité/liberté, appartenance/différence et désir-harmonie/initiative-solitaire.

La notion d’empreinte livre aussi une lecture du syndrome de Stockholm (schéma paradoxal de comportement lors d’une prise d’otages) :

La sensation de l’imminence de la mort provoque une sidération émotive totale. Mais en quelques secondes, s’organise une phase stable où l’otage découvre son dominant tout-puissant. Commence alors l’interaction des deux personnalités. Il ne faut pas que le ravisseur soit brutal ou incohérent ; il lui suffit d’être décidé et rassurant. Il doit donner le code de survie : « Si vous faites ça, il ne vous arrivera rien ». Le dominé, dont la conscience est entièrement captivée par cette présence, ressent alors une impression forte et rassurante.

L’hyper-vigilance attentive du dominé crée les conditions les meilleures pour la réceptivité d’un évènement. Le dominant prend la fonction tranquillisante et impressionnante qui caractérise l’objet d’empreinte.

… Cette série de données me permet d’illustrer une idée : une émotion intense peut créer un moment de grande réceptivité à un objet d’empreinte. Le récepteur et le marqueur peuvent se rencontrer et tisser ensemble un lien affectif.

Les amoureux, lors de leur coup de foudre, les mystiques lors de leur révélation, et les foules, lors de leurs cérémonies extatiques, ne nous disent pas autre chose.

En de nombreux passages de son livre, Cyrulnik rappelle à quel point l’observation n’est pas une perception neutre, qu’il s’agit d’un acte de création qui parle beaucoup plus de l’inconscient de l’observateur que du sujet observé.

Une illustration frappante en est fournie avec le cas d’un jeune homme de seize ans, qui apparut  en 1828 au 4ème escadron du régiment de chevau-légers de Nuremberg, dont la posture était tellement maladroite qu’il ne savait pas marcher et qui ne savait pas non plus parler :

Le capitaine auprès duquel on le conduisit d’abord fut le premier observateur, militaire donc. Il écrit : « On simula des passes d’armes et des estocades à l’aide d’un sabre nu pour contrôler ses réactions. Il resta impassible. On déchargea vers lui un pistolet ou quelques autres armes à feu. Il ne sembla pas non plus soupçonner le moins du monde qu’on puisse lui vouloir le moindre tort ».

Plus tard, le docteur Osterhausen rédigea un rapport dans le langage médical de son époque, caractérisé par l’impérialisme anatomique : « … le tendon de la rotule est divisé et les deux tendons des muscles vastes, interne et externe, longent séparément la jambe de part et d’autre du tibia pour s’attacher … »

Alors le professeur Daumer, connu pour sa bienveillance et son « cœur humain » fut appelé à la rescousse. On le chargea de l’instruction de l’infortuné jeune homme. Le professeur dressa une riche table, avec des viandes et beaucoup de bière, puis força le jeune homme à tout avaler. Ce dernier s’endormit aussitôt, repu et saoulé. Le bon professeur nota alors «  … sur cette brute animale, un bien curieux effet de la viande ».

 L’une des conclusions de l’ouvrage ne dit pas autre chose :

Il y a longtemps que je n’avais pas fait rire avec le mot psychologie. J’ai remarqué que dans certains milieux, ce mot possède une grande vertu hilarante. Je l’ai donc prononcé dans un service de néo-natalogie avec le succès habituel, mais non espéré.

Certains ont ri, et m’ont expliqué qu’un prématuré de six mois était plus proche du biologique que du psychologique. Il était sous-thalamique, autant dire sans cerveau, sans mémoire, sans parole. Un produit biologique, on vous dit.

Alors j’ai compris pourquoi dans certains hôpitaux les nouveau-nés sont enveloppés dans une feuille d’aluminium, comme le jambon de ma charcutière. On n’enveloppe pas une personne dans une feuille d’argent, on l’habille avec les vêtements de sa culture. C’est évident.

Jusqu’au jour où nous avons enregistré les cris des prématurés et les avons portés à l’analyseur de fréquence du laboratoire. L’ordinateur nous a rendu une feuille de papier argenté (elle aussi) sur laquelle il avait transformé le cri en image montagneuse : les basses fréquences à gauche, les hautes fréquences à droite.

En établissant une corrélation entre la structure des cris et les variations de l’environnement nous avons rendu observable l’évènement suivant : toute variation de l’environnement augmente la composante aiguë des cris. Il suffit de changer le tissu de la tête de lit ou de faire approcher un médecin réanimateur pour que l’ordinateur transforme le cri du bébé en un dessin plein de pics aigus.

Les prématurés réagissent vivement à toute variation de l’environnement. Ce qui implique qu’ils y sont très sensibles et qu’ils possèdent une mémoire à court terme qui leur permet de reconnaître celui qui régulièrement leur pique une aiguille dans l’artère fémorale.

L’évidence n’est pas évidente ! Nous avons des yeux pour voir ce que nous pensons.

L’évidence est une perception sélective, organisée comme une représentation.

D’où la nécessité du travail d’observation pour déjouer le piège que nous construisons pour nous y enfermer.

A la fin de son ouvrage, Cyrulnik se demande pourquoi conclure. Ce pourrait être au moyen d’une phrase définitive qui permettrait de clore dix années de recherches. Il faudrait trouver l’interrogation merveilleuse qui permettrait de souligner l’importance de l’attachement, et sa fragilité.

Cyrulnik bute pour conclure parce que les conclusions ne sont jamais concluantes, jamais closes. C’est pourquoi il termine en disant :

Je pense qu’avant de lire ce livre, vous aviez les idées claires. J’espère maintenant qu’elles sont confuses, car il faut douter, croyez-moi !

Catherine et Sylvie n’écrivent-elles pas :

Face à l’évènement, nous filtrons surtout les informations auxquelles nous savons pouvoir répondre et évitons les autres. Il y a échange d’informations entre nos perceptions et sensations internes, suivi d’un choix automatique à ne traiter que les informations garantes d’adaptations possibles, car mémorisées, mais aussi évitement des informations intraitables car ne correspondant pas à des repères connus.

Que cela nous aide à prendre de la distance vis-à-vis de nos certitudes !

Mon corps le sait

De Catherine Aimelet-Périssol et Sylvie Alexandre
(Robert Laffont, 2008)

Une méthode pour apprendre à rentrer en relation avec son corps, à affiner ses sensations et perceptions, pour être plus présent à soi… et arriver à changer de posture devant telle ou telle situation.

Une pédagogie utilisable au quotidien, dans tous les actes de notre vie.

Quand les crocodiles s’emmêlent

De Catherine Aimelet-Périssol
(Robert Laffont, 2005)

Sous-titré « Du bon usage de nos émotions dans les relations adultes-enfants », un livre indispensable pour comprendre, mais aussi pour surmonter, les blocages dans les relations intergénérationnelles

Comment éviter que la relation se bloque ?

Comment rester ouvert aux besoins de l’enfant sans parasiter cette relation avec nos propres émotions mal digérées, notamment celles des anciens enfants que nous sommes ?

Un livre devenu un classique.

Comment apprivoiser son crocodile

De Catherine Aimelet-Périssol
(Robert Laffont, 2002)

Les bases de la logique émotionnelle – et du langage des émotions.

 Le «crocodile», c’est notre cerveau reptilien, celui qui nous dicte notre conduite dès que nous sommes menacés. Mais le crocodile, s’il est bavard, s’exprime dans un langage très différent de celui dans lequel nous raisonnons: le langage des émotions. Et le plus souvent nous ne comprenons pas ce qu’il nous dit. De cette incompréhension naissent notre stress et nos angoisses.

Le crocodile se charge de donner la première interprétation, instinctive, presque réflexe, de ce qui nous arrive. Nous accusons notre entourage, notre patron…, parce que nous nous sentons mal. Mais la racine du mal est ailleurs: elle est dans la manière dont le crocodile nous dicte nos réactions dans la vie de tous les jours.

Apprivoiser son crocodile, apprendre à l’écouter, apprendre à dialoguer avec lui peut éclairer la connaissance de soi, garantie de bien-être et de bonheur.

Une excellente initiation.

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