Décrypter l’intelligence vivante de l’émotion

L’indépendance est-elle un mythe ?

Qui ne rêve de devenir plus indépendant du regard des autres, des reproches de son conjoint, des attentes de son manager, du contexte social ou de l’influence de la mode ? Qui ne rêve de devenir enfin « lui-même », totalement à l’origine de ses choix et de ses actions ? Qui ne rêve de se libérer d’être trop dépendant affectif ?

Mais ce rêve que nous partageons tous aboutit à bien des frustrations. Pire, plus nous cherchons à contrôler notre vie, plus elle échappe, plus le stress augmente… et plus nous nous en voulons de rester dépendants, malgré notre volonté et nos efforts pour résister à cette tendance.

Alors plutôt que nous maudire, nous culpabiliser ou en vouloir aux autres et aux circonstances, nous pouvons nous tourner vers le fonctionnement à l’origine de la dépendance elle-même.

De la dépendance, de l’attachement à nos habitudes comme de nos addictions elles-mêmes ! Avant de voir là des effets de la psychologie, c’est à la biologie que nous devons le phénomène de dépendance !

La logique émotionnelle décrit comment se manifeste la nécessité biologique de la dépendance. Elle modélise ainsi le lien corps esprit, le passage d’une logique corporelle de survie à une logique socio-culturelle de vie dans le temps. Le phénomène de dépendance prend ainsi racine, non simplement parce que nous sommes des êtres sociaux, mais du fait de la nécessité de la vie : celle du corps et en miroir, celle de la culture répondent au principe de conservation et d’évolution, principe qui débute dans la recherche homéostasique de tout corps vivant. C’est là que nous pouvons trouver les clés, non pour nous libérer -voire nous débarrasser- de nos dépendances, affective ou matérielle, mais pour agir en connaissances de ces causes existentielles qui régissent nos existences.

Nous avons bien du mal à admettre être à ce point redevable de notre nature physique, si convaincus que seule notre nature psychique et raisonnante guide nos comportements et nos ressentis. Quitte à ne s’intéresser aux découvertes des neurosciences que du seul point de vue intellectuel, comme si le sapiens était d’une nature différente des autres êtres vivants. Une erreur que nous payons de plus en plus cher.

Alors oui, nous sommes des êtres d’habitudes, de dépendance et d’addictions. Quel qu’en soit le prix, elles nous définissent et nous enferment. Et si la liberté commençait dans cette connaissance comme une invitation à regarder avec admiration et humour cette merveilleuse citadelle intérieure en résonance avec un contexte en perpétuelle évolution?


Catherine Aimelet Périssol

Le Crocodile et la Mangouste

Où il est question de cerveau « reptilien », une fable LE :

Professeur Croco, j’ai lu sur Internet que nous, mammifères, avions un cerveau reptilien. Est-ce un fait avéré ?

Et bien chère Mangouste, baille longuement l’éméritus, qui venait de déjeuner d’une petite gazelle, il nous faut chercher très loin dans le temps un ancêtre à nous deux commun. Plus de 300 millions d’années. Il ressemblait à un petit lézard. Son organisation cérébrale est depuis longtemps oubliée. Son cerveau devait être plus simple, un peu comme celui d’un amphibien d’aujourd’hui. Il faut une grande imagination pour dire que nos cerveaux se sont développés en couches successives et que cet ancêtre commun nous a légué son organisation cérébrale dans les profondeurs de la nôtre !

Pourtant professeur, beaucoup, et notamment chez ce grand arrogant de Sapiens, disent qu’il existerait une partie de leur cerveau qui serait essentiellement viscérale et ils l’appellent volontiers le cerveau « reptilien ».

Sapiens ! marmonne le Saurien en ouvrant un œil, au milieu de sa sieste postprandiale au soleil, et bien Mangouste, sais-tu que jusqu’il y a encore peu il se disait être l’espèce élue et que son cerveau était plus moderne que celui des autres animaux actuels, et bien entendu que celui des reptiles qu’il considère primitifs ? Or il a fini par se rendre compte de ce que la biologie nous a conduit à des évolutions parallèles. Chacun s’est adapté à l’environnement dans lequel il vit. Nous crocodiles possédons d’ailleurs aussi un Cortex. Sapiens l’a interprété comme étant l’analogue de son Striatum(1) avant de corriger son erreur.

Le fait avéré murmure encore Croco toujours un peu somnolent, c’est que nous partageons avec l’ensemble du monde animal la capacité de réagir par des automatismes au moment présent. Puis, pour nous adapter, nous mémorisons les comportements dont l’expérience répond à nos besoins. Enfin nous nous projetons en anticipation d’un futur probable.

Mais alors Professeur, comment expliquez-vous qu’autant d’humains se disent avoir un cerveau reptilien ?

Ah Mangouste ! Mon ami Lionel(2) me parlait justement de Sapiens il y a quelques jours. Il me disait que chaque humain est structuré pour donner nom et sens à ce qu’il observe quitte à réduire ses observations à ce qui l’intéresse. Quand quelque chose lui échappe, il invente inconsciemment ce qui lui manque à partir de ce qu’il reconnaît. Puis il prend conscience de la représentation qui en résulte. Ensuite il croit fermement avoir tout perçu et tout compris. Du moins tant que la réalité le prive d’un démenti catégorique.

Selon moi, continue Croco, cela conduit Sapiens à qualifier de reptilien la vitalité ontologique même qui l’anime. Il la mécomprend, et il aimerait en éviter les manifestations, les maîtriser ou s’en couper. Comme s’il voulait se débarrasser de sa condition animale ! Par désir de cohérence, il fait comme s’il pouvait attribuer ses mécanismes homéostasiques à quelque chose qu’il peut nommer, qu’il voit vivre autour de lui dans les marigots, qu’il considère comme primaire. Ironie de l’histoire, pour avoir d’avantage de vie, il en vient à déconsidérer les mécanismes même d’incarnation de sa vitalité. Il préfère vivre dans la cohérence de ses interprétations plutôt que dans une ouverture attentive à ce qui lui arrive, à observer le monde, pour progresser dans ses connaissances.

Oh oui Professeur, c’est vrai qu’il est beaucoup plus facile de se laisser aller à interpréter que de se concentrer sur son expérience de vie et ce qui se produit. Quelle chance nous avons d’étudier avec vous les réalités biologiques de la nature. Moi j’ai du mal à comprendre Sapiens. Pourquoi alors qu’il est bien plus gros que moi, a-t-il peur des serpents ? Moi, j’aime bien les serpents.

Le docte savant bouge un peu la queue et, ouvrant son deuxième œil, se réveille tout à fait.

Mangouste, tu es une étudiante brillante et tu as bien compris que si tu te débarrasses de tous les serpents, tu seras privée de l’excitation de les chasser, et du goût de leur chair. Observer la biologie et mieux la connaître te permettent d’accéder à l’intelligence et à la sagesse de 4 milliards d’années de vie et d’évolution. Une connaissance que tu peux mettre à profit pour te comporter en animal responsable, plutôt que de répéter tes automatismes, instinctifs ou appris. Une école d’humilité aussi, puisque si aiguisés que soient nos cerveaux, ce que nous ignorons est incommensurablement plus vaste que ce que nous connaissons. L’univers est une source infinie de nouveau. Au moins en y étant attentif, et même si le sens que nous donnons à la vie devient plus incertain, nous pouvons ainsi prétendre disposer d’un remède à l’ennui.

Sur ce et sans un mot, le Saurien se glisse dans l’eau du marigot, et s’en va se rafraichir les idées.

Olivier Vidal

(1) En neuroanatomie, le striatum est une structure nerveuse sous-corticale. Il est impliqué dans le mouvement volontaire, les comportements appétifs ou aversifs, la gestion de la douleur (via le système dopaminergique) et la cicatrisation voire la régénérescence de certains tissus cérébraux. Source Wikipédia.

(2) Lionel Naccache ICM (institut cerveau et moelle épinière ) auteur du livre « Le Cinéma Intérieur » Odile Jacob octobre 2020

Qu’en est-il quand la vie est en jeu ?

Décidément, l’actualité Covid nous donne à voir combien nos automatismes et nos habitudes sont à l’œuvre en toutes circonstances. Chacun s’adapte au présent avec les polarités conservation-croissance. Certains des bien portants, au nom d’avoir toujours de la sûreté évitent les contacts, quand d’autres, au nom d’avoir toujours de la liberté entendent poursuivre leur vie comme d’habitude. Tout changement d’environnement nous interroge sur nos habitudes et révèle le processus émotionnel.

Survigilance, déni, révolte, dépression… telle est la façon défensive des uns et des autres de s’adapter au contexte présent. Que suis-je si… Qui suis-je si… Quel sens a ma vie si… ?

Ce Clin d’œil sera plus long que d’ordinaire puisque nous avons opté de faire paraitre un morceau choisi du témoignage préparé pour ce clin d’oeil par Usha, psychopraticien en Logique Emotionnelle qui a fait l’épreuve de la maladie COVID-19 et du coma artificiel. Nous verrons combien c’est tout le corps-esprit qui se mobilise dans une épreuve ultime. Alors qu’il constate ses stratégies de contrôle et de maitrise, il réalise aussi que ses habitudes de penser selon ce modèle entretient l’angoisse, puis comment en s’appuyant sur ses sensations, au présent, jusqu’à lâcher prise sur le contrôle, il prend prise sur le sens de la vie. Il abandonne sans s’abandonner, il choisit de suivre le mouvement de vie plutôt que lutter contre la mort.

Réanimons-nous !

Le 3 novembre 2020, à 14h37, j’ai l’impression de renaître. J’ai 45 ans. J’ai passé l’épreuve du Covid, après avoir été plongé dans un coma artificiel, appareillé, pour respirer sans épuiser mon corps.

Ce jour-là je me représente comme le personnage et l’auteur d’un film d’anima-tion au ralenti, chaque geste que je fais, autonome, est un cadeau. Ce « présent » je le palpe, je sens sa texture : épaisse, légère, rugueuse. Je respire à nouveau, seul. Je parle avec ma bien-aimée. Je bois de l’eau. Revivre d’air pur, d’amour et d’eau fraiche : la joie d’une re-découverte !

Quelques jours plus tôt, j’ai été « réanimé », soigné par des femmes et des hommes, éprouvés, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Je leur dis humblement merci…

… J’ai traversé ce ou ces chocs traumatiques, ayant été traversé par eux. Au lieu de m’y arrêter, je m’en suis fait présent. Mon corps a eu du mal à s’en remettre (trois mois d’épreuve) et je vois en même temps à quel point l’expérience de l’épreuve peut s’avérer bénéfique.

J’ai vu combien mes habitudes mentales de pensées automatiques et comportementales de contrôle, m’ont conduit à exiger, parallèlement à ce que je vivais dans mon corps, de conserver coûte que coûte la maitrise et combien cette habitude alimentait mon anxiété. J’en ai fait l’expérience en direct live.

Comme en position méta par rapport à moi-même, je me vois penser, de deux manières :

  1. Penser, mouliner, chercher à contrôler, alimente chez moi l’anxiété, la peur de ne plus pouvoir respirer.
  2. Et simultanément quand je me vois penser, je vois comment le corps lui-même parle et se parle. Cette stratégie cognitive est elle-même du biologique, de l’aspiration à exister !

Deux formes de « penser » qui me font voir mon monde intérieur comme dissocié : mon corps, mon monologue intérieur, et moi-même me regardant agir/penser ? C’est encore une représentation !

En quoi la logique émotionnelle me sert dans cette épreuve et dans l’expérience qui s’en suit ?

La logique émotionnelle je ne sais pas exactement comment ça marche dans les tréfonds de mes automatismes biologiques, mais je sais que ça sert à quelque chose !

Par moments pendant l’épreuve, j’ai pu faire attention à la vie biologique qui m’animait, de voir au ralenti mes mouvements émotionnels, par séquences, pendant que j’étais dans l’expérience. Et ce même si je n’avais pas conscience de toutes les étapes de ce processus !

La pratique de la logique émotionnelle a permis, par bribes, que mon anxiété s’apaise, que mon attention se raccroche à quelque chose de vivant, corporel, au lieu de continuer à croire que je pouvais gérer ma panique, mon émotion. En acceptant mon impuissance je me suis donné un espace vide, plein de puissance potentielle, un creuset d’espoir où mon corps a pu se consacrer à son processus d’auto-guérison.

Mettre en mots m’a aidé, pendant, et après le choc traumatique à sur-vivre, en me considérant davantage humain, parce que cherchant à parler vrai : c’est-à-dire parler de mon processus vital à l’œuvre.

Je me remercie d’avoir fait et de faire déjà tout ceci pour moi, aussi imparfait fut-ce.J’ai été réanimé aux deux sens du terme :

  • mon corps s’est remis à fonctionner sans que j’en ai conscience.
  • je me suis éveillé aux sens qu’avaient les processus biologiques qui me traversent, notamment la fonction de la pensée :
    • toujours vouloir, penser, alimente ma peur ;
    • et simultanément penser c’est aussi se panser, au sens de se guérir.

« Quand on pense avec un e on panse toujours avec un a, penser c’est toujours soigner, quand on pense on doit soigner »

Bernard Stiegler

Je suis responsable de ce que je panse (enfin on peut le penser…)

Dans cette épreuve, j’ai appris que je peux ajouter un choix, ici celui de « vibrer » : par ma propre voix fredonnante mon corps vibre, par l’émerveillement face à la beauté du monde qui m’entoure (les bons soins des soignants, le chant des oiseaux, l’eau, l’air pur) mon esprit se calme, par l’espoir de partages à venir avec ceux que j’aime mon corps s’émeut et s’évade, par l’acte de penser/écrire/me parler de ce que je vis intérieurement, je m’occupe de moi aussi.

Au-delà de la capacité qu’exerce déjà le corps de s’auto guérir, ce choix minuscule « de me faire vibrer » favorise le rassemblement de ce qui est épars en moi en un corps esprit, conscient de lui-même, dans sa douleur, dans sa vitalité.

J’estime avoir eu de la chance de vivre cette épreuve et d’y sur-vivre au sens de pouvoir la dire. Telle est la valeur biologique du langage.

Comment on réagit par rapport à l’environnement ?

Et puis, j’apprends aussi que par rapport aux autres, mon environnement, c’est facile de partir. C’est plus difficile de revenir. J’ai fait l’expérience de ma sensibilité au lien et à l’amour de mon entourage. Réanimé, revenant dans le monde « normal », je me suis senti plusieurs semaines sur une autre planète, mes préoccupations tellement basiques (respirer à nouveau « l’air de rien ») contrastaient avec les préoccupations des autres qui me semblaient éloignées. L’anxiété de ne pas pouvoir respirer a duré quelques semaines après la sortie d’hôpital.

Et petit à petit, confiant que mon corps était en train de se guérir, mon nombril m’a ennuyé. Petit à petit seulement. J’ai senti que c’était le moment de partager cette expérience, en écrivant, encore une fois pour mieux me ressaisir, et aussi dans l’espoir peut-être d’aider ne serait-ce qu’une personne à sur-vivre (au sens de retrouver le sens vital) à une autre épreuve, la sienne.

J’extrapole !  Et notre société, de quoi pourrait-t-elle avoir besoin quand l’asphyxie se présente ?
Tant que nous nous racontons que ça va être difficile, douloureux, mortel, ou que nous sommes dans l’incertitude, nous entretenons le stress, personnel et collectif, sans pour autant nous prémunir du risque, lequel ne dépend pas de nous. Tant que nous alimentons notre moulin à pensées, tant que nous anticipons, tant que nous focalisons sur le problème auquel notre corps a déjà répondu biologiquement (et continuera à répondre car c’est la fonction même de notre système nerveux) la peur grandit en nous.

Et si penser pouvait devenir panser ? Nous avons besoin de prendre la responsabilité de nous-même sans se laisser confiner dans un mode de pensée, cons damnés à penser sans résonner, à tourner en rond dans un monde soi-disant rationnel.

Parlons de ce que nous vivons, ré-animons nous, pansons le monde pour faire la différance (avec un a comme écrivait Derrida), c’est à dire à la fois différer un instant la réponse à mon besoin (et par là faire preuve d’humanité) et aussi différencier ce que je vis (je suis un corps et ses choix – ceux que je fais face à l’adversité) !

Usha Matisson

Pour lire l’intégralité de cet écrit, cliquer ici 

Mon regard LE sur la vie de la cité

Formée à la logique émotionnelle (L.E.), je me surprends de plus en plus régulièrement à chercher à relier les éléments de ma vie quotidienne et de mon environnement avec les étapes de la « grille » de lecture du processus émotionnel. Je me vois extraire certaines informations et reconnaitre que la sélection est l’œuvre du filtrage d’informations qui s’effectue automatiquement.
Cette grille de lecture est donc devenue un filtre supplémentaire grâce auquel je regarde les autres, le monde et moi-même! Telle est la loi de la biologie : nous percevons en fonction de filtres de représentation, tous orientés vers le maintien de la vie.


Je m’aperçois que mon attention se porte, de manière spontanée, sur certains mots : ils m’apparaissent pertinents, saillants… selon ma propre grille de lecture émotionnelle, bien sûr. Ils sont en rapport avec l’identité, le besoin d’être en lien avec ses deux polarités : l’appartenance et la différence.

Comment la logique émotionnelle peut-elle m’aider à éclairer les enjeux de territoire dont nous parlent tant les médias ?

En regardant les mots qui m’interpellent : séparatisme, appartenance, protectionnisme, luttes identitaires, frontières, protection, droits nationaux, migrants, libre-circulation, communauté, union, fédéral, gouvernement cantonal, sécurité, libertés publiques, immunité collective, responsabilité individuelle, se protéger, protéger l’autre. Ceux-là mêmes qui, par ailleurs, servent à décrire le besoin d’identité à l’œuvre. Car les mots servent à décrire l’existence qui se joue d’abord sans mot, dans le champ émotionnel du vivant, avant la traduction de ce vivant dans le langage et la pensée.

Ainsi mon esprit tricote, tisse. Des liens se dessinent : l’autre, le domaine de la relation, de la rencontre, ou de la rupture, de la reconnaissance, masqué, ou pas ; domaine de l’identité, de la lutte ; domaine de la famille, de la tribu et de la cité. Au niveau du discours politique et social se réfléchissent les mêmes mécanismes de singularité, de différence, d’appartenance. Lire Antonio Damasio, Henri Laborit et Francesco Varela, fut pour moi la révélation de l’extension du biologique, du niveau cellulaire vers le champ du groupe social des individus, selon un champ de forme de plus en plus ample. Écouter les informations du moment me semble plus audible avec la boussole de la grille de lecture des émotions ! Un repère !

Prennent sens alors, au travers de mon regard « L.E. », les expériences multiples de contrôles d’identité, de formalités de passeports aux douanes, autant d’actions teintées de valeur biologique. Le « corps » social fonctionne avec un système immunitaire, veilleur et sentinelle, en mission de reconnaissance du connu versus l’inconnu ; du familier, pourrais-je dire du national, versus l’étranger, voir l’intrus et même, l’indésirable. L’inconnu, c’est celui appartient à l’ailleurs, le différent, le non-connu, le non-reconnu. Qui pourrait faire danger quand il ne correspond pas au déjà connu, au déjà enregistré comme « bon pour la vie »…

La LE donne à voir, avec humilité combien nos actes sont faits d’habitudes défensives, automatiques et non conscientes, orientées vers la survie de l’être vivant. Habitudes habillées d’explications, de justifications et d’interprétations.

Yassamane Sassanfar

L’Année Nouvelle ! Nouvelle, vraiment ?

Comment vous la voulez cette Nouvelle Année ?
Bonne, heureuse, joyeuse, en santé, sans Covid, sans masque sans privation, mais avec embrassades, musées, théâtre et cinéma ? Tout ça à la fois ? Oui, bien sûr !


Voilà ce que nous désirons tous retrouver. Nous savons pourtant que quelque chose devrait changer dans nos habitudes consommatrices pour que le monde change, mais… Mais, nous sommes tellement attachés à (ou par) nos représentations, nos croyances et nos fictions, tellement accrochés de nos habituelles réponses pour satisfaire notre désir d’existence que nous ne voyons plus que celles-ci créent naturellement de liens qui enferment ! Ces évidences font partie de nous parce qu’elles sont source de confiance, de certitudes mais aussi d’identité et qu’elles maintiennent une cohérence à notre monde.


Alors, rien de vraiment nouveau finalement ? Plutôt le connu confortable ? Que l’année soit nouvelle sur le calendrier, OK. Qu’elle nous surprenne en mieux et sous la forme de cadeaux, OK. Mais qu’elle le soit sous la forme d’une crise, très peu pour nous ! En fait, le rapport à la nouveauté est bien plus difficile qu’il n’y parait. Faire du nouveau avec l’ancien est difficile à imaginer.


Plutôt que de nous en vouloir d’une telle attitude, de baisser les bras ou de nous distraire en attendant l’effondrement annoncé par beaucoup, nous pourrions commencer par regarder comment la logique émotionnelle éclaire le rapport à la nouveauté, au neuf et au changement.

 
Le responsable de cet état de fait en est le système nerveux lui-même. Il organise notre rapport à ce qui nous est extérieur — les autres, les événements —. Via la perception de nos sens, dans un va-et-vient d’informations sous la forme de sensations et de réactions d’adaptation automatique, notre équilibre homéostatique se maintient dans une cohésion favorable à la vie, à l’origine de l’autoconservation et de la croissance. En cherchant à prolonger dans le temps et en conscience cet équilibre, nous participons au monde, nous en sommes une partie.


Toute notre organisation cérébrale tend ainsi à réduire au maximum l’écart entre l’intention de garantir un état de satisfaction, voire de plaisir, et le résultat de nos comportements censés garantir cet état. La jauge, c’est le ressenti émotionnel, le sentiment éprouvé qui fait suite au comportement adopté. Par exemple, vous avez l’habitude d’exprimer vos envies de cadeaux à votre conjoint pour Noël, persuadé qu’ainsi, vous lui facilitez la tâche et obtenez ce que vous voulez. Mais, celui-ci achète autre chose, persuadé qu’ainsi, il vous fera une surprise et qu’il n’en aura que plus de mérite à vos yeux. Vous voilà déçu, incompris ! Le décalage entre projection et résultat est en effet à l’origine de ce ressenti de dépit. S’en suivent vos représentations binaires sur le couple, l’amour ou le partage. Décidément, c’est compliqué de vivre à deux. L’envie vous vient de retrouver des amis sur les réseaux sociaux. Eux vous comprendront…


Pourtant, et c’est là un paradoxe apparent, cette organisation a bel et bien une intention vitale : réduire l’écart entre satisfaction du désir et résultat, c’est assurer l’équilibre ! Oui, mais assurer l’équilibre réduit la capacité à s’ouvrir à la nouveauté, à la surprise, à l’inhabituel, à l’insolite. Mieux vaut connaitre le processus plutôt qu’en vouloir à l’autre, ou à soi.


Alors, comment faire de cette année une Bonne Année ?

  • En reconnaissant nos comportements pour ce qu’ils sont vraiment : des habitudes profondément ancrées dans le registre automatique de nos systèmes défensifs qui laissent peu d’espace pour recevoir le nouveau
  • En retenant, dans un effort de conscience, nos automatismes destinés à réduire l’écart entre désir de satisfaction et résultat obtenu. Cet effort de s’empêcher ouvre la voie à l’imagination d’autres possibles dans une même intention… exister.
  • En osant la coopération, espace d’écoute et d’expression qui permet aux individus de donner et recevoir des autres, de rendre et de demander.   

Moins glamour que les traditionnels vœux mais plus juste.


Que 2021 soit l’occasion pour chacun de venir apprendre avec nous le langage de la Vie Émotionnelle !

Catherine Aimelet Périssol

Éloge du manque et de l’absence

Calligraphie de Kyoko Rufin-Mori

Ô manque ! je crie ton nom

Je te dis aujourd’hui ma tendresse et mon amour
Ce jour sortie du chaos, relevée du k.o.
 
Ô blanc, Ô absence, Ô manque, Ô pas là … comme je t’entends, te ressens et te comprends maintenant
 
Aujourd’hui, je te vois comme l’éclaireur indispensable
Celui qui de sa lanterne m’a guidée à la vie
 
Bel objet blanc, blanc de l’absence, blanc du manque..
Je te dis aujourd’hui ma tendresse
Comme je comprends ton enseignement maintenant
 
En ai-je pesté de tous ses ressentis, rancœurs et ressentiments
De toutes ses alertes attirant mon attention, faisant le guet et pointant vers le « là » en moi
 
Aujourd’hui, je te vois comme l’éclaireur indispensable
Celui qui, de sa lumière éclaire le tissage du désir, de la présence.

Catherine Le Sage

Calligraphie de Kyoko Rufin-Mori

Le mal a du bon sens

Nul n’est naturellement méchant. Cette parole attribuée à Socrate interroge chacun sur le véritable sens de la méchanceté et donc du mal. Celui que nous faisons, celui que nous éprouvons comme celui que nous subissons du fait des comportements et des paroles de certains autres.
Pour certains thérapeutes, le travail s’achève lorsque le patient a intégré, en conscience et en bienveillance, que le mal existe. Il est devenu ainsi un adulte capable de faire le choix du bien. Non pour se rassurer ou obtenir des autres une assurance sur sa propre valeur, mais pour découvrir cette route semée d’embûches qu’est la vie de tout Être Humain.


Si cette question nous semble importante, c’est que son étude devrait pouvoir soulager la crispation de nombre d’entre nous sur l’obsession du seul bien-être. Car si chacun s’accorde à reconnaitre la valeur biologique du plaisir, nous ne pouvons que nous alerter d’une culture qui le porte aux nues avec le fantasme d’un toujours plus qui ne fait qu’entretenir nos peurs de manquer. La ruée dans les magasins de la semaine passée en dit long sur cette habitude de faire en sorte de ne surtout jamais manquer de rien !
Comment la connaissance de la logique et l’intelligence du processus émotionnel peut nous aider à voir plus clairement ?


Le mal est un mal nécessaire. L’expérience du mal, de la douleur favorise l’éveil du besoin inconscient de protéger l’existence même du corps et par conséquence, la stimulation dans l’esprit des moyens de répondre de cette existence, par la mémoire et la créativité. Il ne s’agit donc pas là de morale mais de biologie.
Pour que le corps puisse être informé, pour que se forme en lui un marqueur somatique selon les mots d’Antonio Damasio, l’expérience du mal être, de la douleur, de la peine, du manque, de la perte de vitalité semble être la voie mise en place par le langage biologique. Et ce pour l’ensemble des êtres vivants. La question n’est donc pas « faut-il souffrir pour vivre ? » mais plutôt « comment la souffrance nous invite à mieux vivre ? »


Accepter cette réalité biologique comme une donnée vitale, source d’inspiration et non punition, peut bouleverser le paradigme dans lequel nous sommes enfermés à force de rechercher tous les moyens pour être bien… sans mal. Alors que la biologie utilise la variation plus et moins comme donnée pour concourir à l’équilibre, l’Humain la voit comme une dualité insupportable où le mal devrait disparaitre. Or malgré nos efforts, force est de constater l’échec de cette vision.


Pour preuve l’actualité de la pandémie Covid19. Nous fantasmons d’éradiquer des formes de vie pour protéger la nôtre. Et plus nous faisons cela, plus nous créons de déséquilibre. Pourtant nous sommes tous informés des déséquilibres créés par l’activité humaine sur notre Terre. Des voix s’élèvent contre ces pratiques, d’autres persistent à faire un peu plus de la même chose.


Le problème n’est pas de vouloir persévérer dans son être, qui est l’apanage de toute forme de vie, c’est la solution du coûte que coûte qui pose problème. Et là les décisions prises au nom de la protection de la collectivité ont un air de coûte que coûte à court terme, quelles que soient les conséquences sur l’avenir. Et ce sans amener chacun à prendre la responsabilité de son propre équilibre : comment favoriser la performance de son propre système immunitaire ? Là est notre pouvoir.


Nous pouvons donc nous interroger sur les décisions de l’exécutif de la privation d’une part de ce pouvoir puisque le sport, la culture, les loisirs, les contacts sociaux favorisant le rire et les échanges…, privilégient la santé par l’apport d’endorphines et diminuent l’excès d’hormones du stress dans le corps. Toute forme de vie s’organise avec les polarités conservation-croissance. Privilégier la seule polarité conservation au détriment de la polarité croissance, ou l’inverse, signifie à terme la mort, que ce soit de l’être comme des sociétés.


Tout comme les 200 avocats et juristes qui ont signé un appel au déconfinement à défendre la vie sous tous ses aspects, « nous nous inquiétons ainsi de devenir cette société du risque zéro qui serait prête à ne plus vivre pour ne pas mourir, et sacrifier pratiquement tout, ses conditions normales de vie, les rapports sociaux, le travail, et même les amitiés, les affects et les convictions politiques et religieuses à la menace de se contaminer. »


On parle de mal pour un bien… Est-ce que le mal actuel peut nous amener à prendre la mesure de l’incidence sur l’environnement, notre entourage, et nous-même de nos comportements ? Est-ce que le mal actuel qui ronge notre société pourrait être l’ouverture vers une prise de conscience que nous faisons partie d’un éco-système dont nous sommes tous, collectivement et individuellement, responsables ? Certains l’ont espéré lors de la première vague de la pandémie, et celle-ci passée nous sommes repartis à nos activités comme si de rien n’était.


Saurons-nous prendre l’opportunité de la deuxième vague pour ouvrir nos yeux ? Puisque la Nature échappe aux bonnes volontés du bien des Hommes, notre intérêt est de la comprendre pour faire alliance avec elle, et sûrement pas de chercher à la neutraliser ou la contrôler.
Le mal existe pour nous informer, nous orienter vers le bon, non seulement pour soi, mais aussi les autres et le monde dont nous faisons partie, dont nous sommes une partie et auquel chacun participe à sa façon. Il a une fonction d’inspiration à la créativité de la nouveauté, sachons la saisir.

Catherine  Aimelet Périssol
Sylvie Alexandre Rochette

Cette semaine, j’ai joué au loto

Cette semaine, j’ai joué au loto

Cette semaine, j’ai joué au loto et je n’ai pas gagné ! Mais cette fois-ci, allez savoir pourquoi !…, je me suis interrogée : quel est l’enjeu derrière cette espérance de gain ? Que me manque-t-il de si important ? Finalement « de quoi ai-je réellement besoin pour vivre » ?

Et je me suis mise à écrire ces quelques lignes.

 Pour vivre, finalement, je n’ai pas besoin de grand-chose : un peu de nourriture, si possible variée et équilibrée, un peu de sport, de la danse et du mouvement, pour garder le corps en bonne santé.

Quoi d’autre ? Peut-être un toit et quelques vêtements pour me protéger des intempéries et avoir chaud. Je me suis alors demandée d’où viendrait cette nourriture, ce toit, ces vêtements ? Suis-je en mesure de les produire moi-même ou ai-je besoin des autres ? « Vivre » m’est alors apparu subitement plus exigeant ou plus complexe que prévu.

« Bien vivre » ou « vivre le mieux possible » s’est imposé, vite remplacé, comme une évidence, par « vivre pleinement ». Ainsi ma question est devenue : « De quoi ai-je réellement besoin pour vivre pleinement ? »

La liste de mes besoins s’est soudainement allongée ! Vivre à l’abri des dangers, sans être menacée. Vivre intelligemment, généreusement, passionnément. Aimer ma famille. Rencontrer des gens. Explorer la planète. M’émerveiller de sa beauté. Exercer ma créativité. Apporter ma contribution au monde… et beaucoup d’autres choses encore.

Pourquoi formuler tant de besoins qui ne semblent pas indispensables de prime abord pour vivre mais qui me sont pourtant bien nécessaires ? Se pourrait-il que ce que je nomme « besoins » soient plutôt des solutions que j’ai mises en place en écho à un besoin plus vital, plus archaïque : celui de me sentir plus vivante ?

Vivre à l’abri des dangers serait une solution pour satisfaire mon besoin de sureté.

Aimer ma famille ou rencontrer des gens seraient des solutions pour satisfaire mon besoin d’appartenance.

Vivre généreusement, pour satisfaire mon besoin d’harmonie.

Vivre intelligemment et passionnément, pour satisfaire mon besoin de différence et de sens.

Explorer la planète, mon besoin de liberté. M’émerveiller de sa beauté, mon besoin d’harmonie. Exercer ma créativité, mon besoin d’initiative personnelle …

Besoins, nés de mon besoin vital d’existence, transformés en désirs, sources de mes motivations à entreprendre, agir, choisir … Mais aussi parfois sources de mécontentement à force de vouloir contenter mes désirs à tout prix ! Ou sources d’habitudes qui pourraient se transformer en addictions …

Je ne sais pas si je vais rejouer au loto la semaine prochaine mais je sais que je vais revoir la liste de mes désirs en prenant en compte ce que j’ai déjà mis en place pour vivre pleinement ! A moi ensuite de savourer ou de modifier en conscience ce qui mériterait de l’être au regard de ma vision d’une vie « pleine ».

Si vous aussi, vous souhaitez connaitre les mécanismes qui président à vos choix de vie , comprendre au nom de quoi vous faites ce que vous faites, je vous invite vivement à participer au module « La voie du désir » : 2 jours pour faire le point en toute sécurité et bienveillance, guidées par deux animatrices expérimentées en Logique Emotionnelle : Sylvie Alexandre-Rochette et Catherine Le Sage.

Maïté Pecqueur

Restez chez vous !

Tel a été le mot d’ordre pour se protéger, prendre soin de soi et des autres en ces temps de pandémie. Deux mois de confinement qui ont été vécus plus ou moins bien selon sa situation familiale, ses conditions de logement, son approche de la sécurité, son attachement à son identité sociale et le sens donné à sa vie.

Chacun s’est accommodé, certains privilégiant la sûreté en remplissant les placards et rester à la maison, d’autres la liberté en profitant de toutes les possibilités pour sortir coûte que coûte. Bon an mal an, chacun s’est adapté, et à la sortie du confinement, restent quelques traces mémorielles et comportementales de cet épisode. Quand les uns y voient l’opportunité d’un changement de vie et de paradigme bénéfique, d’autres regrettent le confort du connu et restent angoissés, irritables ou encore déprimés.

Avec l’été arrive le temps des vacances, moment de ressourcement ou d’évasion attendu par beaucoup. Sauf que les frontières restent fermées, les gestes barrières de rigueur, et le port du masque obligatoire dans bien des endroits. Cette situation inédite pour nous est vécue par bon nombre comme insupportable.

Alors, comment retrouver sécurité intérieure et apaisement ?

Le lieu de sécurité intérieure inaltérable est de revenir chez soi, à son être en vie dans l’instant. Et d’y rester… chez soi ! Pas confinés entre nos quatre murs, mais en portant attention à ce qui se passe en soi, dans une présence attentive à sa respiration pour commencer, à l’air qui entre par les narines, aux sensations de nos poumons qui se déploient, au ventre qui se gonfle, aux côtes qui se soulèvent… et la même attention sur l’expire. Tout un champ d’expériences sensorielles, de la perception de la température de l’air à la résonance que cela a en soi…
Un exercice tout simple qui s’appelle méditation.

En quoi la LE donne du sens au geste de méditer ?
La méditation, comme la Logique Émotionnelle, sont des pratiques d’attention.

La LE encourage le ralentissement pour avoir le reflet de l’expérience du corps qui émerge dans le mental. Reflet de ce qui sait la vie en soi et la maintient en tout premier lieu de façon automatique, hors conscience et hors volontarisme. Nos habitudes mentales et comportementales sont empreintes de cet automatisme, trop souvent à notre insu. Réfléchir est communément utilisé comme cette capacité à penser, sans entendre le reflet, celui de la vie du corps, dont la pensée serait en quelque sorte le haut-parleur. « Je pense donc je suis », nous dit Descartes. Je pense permet donc d’accéder à cette connaissance que je suis.

Or nous ne cessons de penser et de commenter, souvent de façon réactive, sans laisser le temps à l’expérience de s’installer et de se refléter dans notre mental. Nous finissons par prendre nos commentaires intérieurs pour la réalité.
La LE nous propose de nous poser, de sentir ce que nous sentons comme la seule vérité intime qui nous appartient en propre, non partageable, et à rester un peu à cet endroit de rencontre avec le monde sensoriel, celui de la première sensation qui nous pousse à la réaction, puis celui de nos ressentis accompagnés de toutes ces pollutions mentales qui suivent nos habitudes.

Rester chez soi en méditation est un bon entrainement pour entrer en contact avec ce qui nous anime. C’est oser la prise de risque de sortir de nos habitudes et de franchir le cap de l’inconnu. Sortir de nos habitudes pour innover de nouvelles façons d’être au monde.
Car nous serons amenés à nous rendre compte de nos distractions mentales, entre retour sur un passé qui n’existe plus et une projection sur un futur qui n’existe pas encore. La LE demanderait à quoi sert d’inviter ces personnes, ces situations, ces événements dans ma méditation ? Ces pensées nous disent quelque chose de nos désirs, de notre élan vital.

A force d’entrainement ce geste simple de se poser, dans une posture le dos droit, peut devenir une spirale vertueuse en réalisant que la vie est là en soi, que nous respirons, que nous pouvons à force de discipline apaiser notre mental, qu’il est bon d’être là, présent à soi-même. Que nous sortons du mode réactif pour entrer dans le mode actif.

Si vous persévérez, ce rituel du rendez-vous avec vous deviendra une nécessité, et vous y prendrez goût tant il est bon d’être là, posé, vivant, apaisé.

Sylvie Alexandre Rochette

Raconte-moi une histoire

Il était une fois en Crète, Dédale, ingénieur travaillant pour le roi et constructeur d’un labyrinthe dans lequel était enfermé le Minotaure. Icare, fils de Dédale y fut jeté avec son père.  Pour s’échapper de Crète, les deux hommes utilisent des ailes de plumes attachées par de la cire. Icare se grise du vol et oublieux de l’interdit de son père de voler trop haut, se tue de s’être trop approché du soleil, faisant fondre la cire.

Les contes, mythes et légendes sont aussi anciens qu’il nous est possible de remonter dans le temps pour l’étude des cultures humaines. Bien avant la lecture d’une histoire dans le cérémonial du coucher de nos jeunes enfants, le partage d’une histoire semble bien être un acte majeur dans le fondement des cultures humaines.

Joëlle est grand-mère depuis 1 ans d’un petit garçon nommé Arthur. Quand nous avons bavardé avec elle de son petit-fils, elle nous a dit « je pense que nous ne devrions pas vacciner Arthur, les vaccins ont des effets secondaires graves pour protéger de maladies devenues rares ». Joëlle fait partie du tiers des français selon une enquête de l’institut Gallup de janvier 2019 qui pensent que les vaccins ne sont pas sûrs, quand les deux autres tiers pensent qu’ils le sont.

Saviez-vous que les tours du World Trade Center au sud de Manhattan n’ont jamais existé ?  C’est l’une des nombreuses théories dites « conspirationnistes » qui circulent depuis le 11 septembre 2001.
Dans son livre de 1989 « La Vie est Belle » le paléontologue Stephen Jay Gould raconte l’histoire de la réinterprétation des schistes de Burgess par Harry Whittington dans les années 1970, ouvrant des perspectives radicalement nouvelles sur l’évolution de la vie. Les schistes de Burgess, gisement de fossiles d’animaux du précambrien près de Vancouver en Colombie Britannique au Canada, ont la particularité d’avoir conservé une trace des parties molles des organismes multicellulaires d’il y a 300 millions d’années. Whittington a réussi à décrire l’organisation organique du vivant à cette époque. Il a notamment mis en évidence 10 profils anatomiques dont seuls quelques un subsistent encore de nos jours.

Gould analyse les facteurs qui ont conduit Walcott dans les années 1920 aux premières interprétations complètement erronées de ces fossiles, qui se sont imposées à la communauté scientifique pendant 50 ans. Ces erreurs de Walcott sont les conséquences de ses modèles mentaux, induits par ses idéaux, à travers son engagement religieux, politique et moral. Pour faire simple, si dieu a fait l’homme à son image, alors l’homme est forcément l’aboutissement ultime de l’évolution. Or aujourd’hui les théoriciens modernes de l’évolution s’accordent majoritairement pour dire que des extinctions massives, dues à des catastrophes planétaires, ont permis de nouvelles proliférations animales jusqu’à la prééminence des mammifères et enfin de Sapiens. Une histoire différente de la terre aurait pu conduire par exemple à un monde de dinosaures.

Nous pourrions multiplier à l’infini les exemples de fictions, d’interprétations et de croyances, conséquence des processus par lesquels chacun donne au monde le sens qu’il a pour soi.

Dans plusieurs de ses ouvrages (notamment Le Nouvel Inconscient , et  Perdons-Nous Connaissance ? ), le neurologue Lionel Naccache traite de cette propriété fondamentale de notre vie mentale : l’interprétation consciente fictionnelle. Chaque minute de notre vie consciente se traduit en interprétations que nous ne cessons d’élaborer.

Les FICs (fictions, interprétations, croyances) reflètent un certain degré de réalité. Dans la plupart des expériences matérielles que nous vivons, notre rapport à notre environnement, et aux contraintes qu’il nous impose, nous amène à incorporer des informations venant du monde réel. Nous les utilisons pour corriger sans cesse nos hypothèses mentales. Même si nous sommes fascinés par les oiseaux et que notre imaginaire est stimulé par la légende d’Icare, nous évitons de nous lancer d’une falaise en essayant de voler.

Pour autant, structurellement, la finalité de l’interprétation consciente fictionnelle est de donner un sens à l’information que nous recevons du monde, qui nous convienne à nous. Sa finalité n’est pas de nous permettre de décrire aussi exactement que possible le monde réel dans sa réalité perceptible, matérielle, tangible.

Dès que nous nous éloignons de la matière et de la perception que nous en avons, nous baignons dans un grand nombre de réalités auto référentielles, faisant parties intégrantes de nos cultures humaines. Par exemple, la valeur de l’argent, la valeur d’un diplôme universitaire, l’existence de dieu, sont des réalités auto référentielles. Une réalité auto référentielle se démontre elle-même au contraire d’une réalité matérielle perceptible et dont nous pouvons reproduire invariablement l’expérience (voir par exemple sur ce sujet les ouvrages de François Flahaut L’Homme une Espèce Déboussolée, et de Yuval Noah Harari Homo Deus).

Nous construisons donc des représentations du monde qui sont à la fois vraies et fausses, et si nous ne pouvons-nous empêcher d’interpréter, du fait même de la structure de notre système nerveux, au moins soyons en avertis. Selon le vieil adage, un humain averti en vaudrait deux ?

Dans notre société de l’information, nous avons maintenant accès très aisément à une masse d’informations de toutes natures, qui circulent à grande vitesse dans la population. Une part prépondérante de ces informations sont l’expression de fictions, d’interprétations, ou de croyances. Les médias, radio, télévision, internet, nous proposent les dires de personnes qui nous font principalement part de ce qu’elles retiennent dans leur subjectivité. Il est facile de prendre une information pour argent comptant, il est beaucoup moins aisé d’accéder à la connaissance, d’ailleurs noyée dans le flot.

« Nos sociétés ont inventé une nouvelle forme de résistance à la connaissance » dit L. Naccache dans Perdons nous Connaissance ?, « non le refus des connaissances, comme au Moyen Age, mais la dégradation de celles-ci en simples informations, avec l’illusion que le progrès des connaissances pourrait rester extérieur à nous-mêmes, ne pas modifier la vision que nous avons de nous-mêmes. »
Dans son dernier ouvrage L’Ordre Étrange des Choses, Antonio Damasio s’émeut de cette réalité puis nous propose une conclusion : « notre ouverture d’esprit doit être grande lorsque nous entreprenons d’explorer l’inconnu ».

Osons nous interroger sur nos certitudes.

Alors s’il te plait mon frère humain, raconte-moi une histoire.

Et rappelons-nous l’un à l’autre que c’est une histoire.

Olivier Vidal