Apprivoiser ses émotions, un défi en temps de confinement
Par Marlène Duretz
Rester chez soi provoque ou exacerbe des pics émotionnels qu’il n’est pas toujours simple de contrôler. Conseils pour ne pas se laisser submerger par le stress ou la peur.
Les tant escomptés « libérés, délivrés » devront attendre. Dans les foyers français quasi en huis clos, ils ont inexorablement cédé du terrain aux désormais « apeurés, angoissés ». Le contexte tout aussi exceptionnel qu’incertain de la crise sanitaire du coronavirus contribue à exacerber chez chacun des émotions avec lesquelles il n’est pas toujours facile de composer en ces temps confinés.
« Ce n’est pas parce que nous sommes tous en situation de crise que l’on dispose du même appareil psychique, observe le psychiatre Michel Lejoyeux. Nous avons chacun à faire face à des situations extraordinairement inégales, avec des capacités de résistance et de résilience tout aussi disparates. »Lire la sélection : Cinq applis pour méditer en pleine conscience
Nombreux sont les confinés anxieux, déjà sur les nerfs, avouant avoir perdu leur sang-froid, hurlé sur un conjoint ou un enfant, ou encore avoir cédé à la tristesse ou au désarroi. Perdre les pédales, péter une durite, ne pas voir le bout du tunnel, être sous l’eau… le florilège des expressions est aussi fleuri et divers que la palette des émotions.
« Cette situation est révélatrice de mouvements émotionnels tout à fait variés, même si on peut les rassembler en quatre grandes catégories, à savoir la tristesse, la joie, la colère et la peur, cette dernière étant la plus présente aujourd’hui, selon la psychothérapeute spécialiste des émotions Catherine Aimelet-Périssol. Cette période va nous permettre de découvrir, si on l’ignorait encore, que nous sommes des êtres émotifs et quel rapport nous entretenons avec nos émotions. »
« Pas de mauvaises ou de bonnes émotions »
Cette mise entre parenthèses est un bouleversement profond de nos habitudes, de nos rapports aux autres, ainsi que de notre espace de vie. Pour l’auteure de Ma bible des émotions (éd. Leduc.s, 2019), « plus la situation est autre de ce qu’on voudrait qu’elle soit, plus cela nous est difficile de nous y adapter et plus elle favorise l’anxiété ». Et de souligner l’intérêt de « visiter notre intériorité » pour prendre le recul nécessaire.
« Il n’y a pas de mauvaises ou de bonnes émotions, il y a juste des émotions qui nous disent quelque chose de notre existence. Et ce que nous pouvons faire est d’aller à leur rencontre. Pour en tirer profit bien sûr, mais surtout pour prendre soin de soi. » Et a fortiori des autres.Lire l’enquête : « Je suis comme un lion en cage », être seul et confiné dans un 18m2
Outre cette introspection, et une nécessaire communication avec celles et ceux avec qui l’on est confiné, rendre le moment supportable, c’est aussi gérer le temps – en instaurant des plannings par exemple – et l’organisation des espaces dont on dispose.
« Structurer son espace et son temps permet de favoriser les repères et d’instaurer de nouveaux rituels », suggère la psychothérapeute. Cela requiert d’être créatif aussi pour adapter ce qui doit l’être, et inutile de faire cavalier seul. « Ce n’est plus “comment je vais faire”, mais “comment nous allons faire”. Ce qui implique de s’inscrire dans le collectif, à l’échelle d’une famille, d’un couple, avec ou sans enfants, ou de colocataires ! Et cela n’exclut pas ceux qui sont confinés seuls. »
Réhabiliter l’altruisme
« Il revient de mobiliser ses ressources pour faire face à la quarantaine », recommande Michel Lejoyeux, passant en revue les préconisations des psychiatres du King’s College de Londres (The Lancet en mars) parmi lesquelles réhabiliter l’altruisme, pour être moins égoïste et autocentré, entretenir les liens, et ce malgré l’isolement physique, pratiquer une activité physique, se distraire pour résister, s’évader ou sortir de l’ennui, mais encore se livrer à la rêverie.
« Imaginez-vous des moments agréables, filmez-les comme dans une vraie séance de cinéma, souligne-t-il. Même si ce n’est qu’en imagination, votre cerveau et votre esprit ont traversé un moment agréable, l’ont vu, presque déjà vécu en attendant de le vivre vraiment, le plus rapidement possible. »Lire le compte-rendu du tchat avec Wissam El Hage, psychiatre au CHU de Tours : « En confinement, notre pire ennemi, c’est l’incertitude, source de beaucoup d’anxiété »
Selon Catherine Aimelet-Périssol, cette période est propice pour « être indulgent, tolérant et bienveillant avec l’être émotif que nous sommes ». Les sautes d’humeur ne sont pas incongrues, les incertitudes et les peurs nombreuses et déstabilisantes.
Pourquoi ne pas tenir un journal de bord du confinement, par exemple, pour « poser un certain nombre de choses projetées qui, à la relecture, permettent d’être relativisées » ou encore réaménager ses espaces de vie, pour se les réapproprier ? « C’est une façon de reprendre le contrôle et cela reste accessible à tous. »
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